En septembre sortira un intéressant rapport de la fédération des droits de l’homme sur une affaire assez banale, l’histoire de la mine d’or malienne de Morila. Les médias et la télé françaises ne s’y sont pas encore intéressés. Saine réaction. Pillage des richesses et exploitation de la main d’œuvre d’un pays pauvre par quelques multinationales… Le scénario est archi-connu et très peu télégénique. Notamment selon les dogmes de Bouygues, partie prenante de l’affaire et propriétaire de TF1.
Tout commence il y a quelques années quand la Banque Mondiale pousse le Mali - troisième plus grande réserve d’or d’Afrique - à privatiser son industrie aurifère. A Morila (région de Sikasso dans le sud du Mali), la société qui exploite la mine est confiée à deux grandes firmes sud-africaines, Anglogold Ashanti et Randgold Resources, qui se partagent 80% du capital de l’entreprise. L’Etat malien doit quant à lui se contenter des 20% restant, de maigres royalties et de quelques promesses de « développement » de la région.
Satisfaites de cette belle répartition, les multinationales s’empressent de vider le site, inauguré début 2001, de son précieux métal. Ainsi, alors que les travaux d’excavation sont prévus pour durer jusqu’en 2011, les deux tiers des réserves - estimées à 120 tonnes - ont été extraites en seulement… quatre années. Une surproduction hâtive qui n’a aucun lien, on s’en doute, avec les exonérations fiscales dont bénéficient les multinationales pendant leurs trois premières années d’activité… [1]
C’est à une filiale du groupe Bouygues que l’on doit une grande partie de cet exploit productiviste : la Somadex, Société Malienne d’Exploitation (sic), qui recrute et « gère » la main d’œuvre locale pour le compte des compagnies sud-africaines. Une « gestion » stakhanoviste et pour le moins musclée, à en croire ceux qui ont travaillé pendant des années à l’ombre des barbelés inviolables de l’usine. Les griefs abondent : travail douze heures par jour, six jours sur sept ; précarité institutionnalisée ; non-paiement des heures supplémentaires, des congés, des primes de risque ; harcèlement continuel des responsables syndicaux ; surveillance permanente des employés ; vexations en tout genre ; accidents du travail à répétition ; etc. L’« efficacité » économique n’est rarement qu’une opération du Saint-Esprit.
Dans ces conditions, il n’a pas fallu attendre longtemps pour que les ouvriers commencent à se rebeller contre les patrons zélés de la Somadex. Deux ans après une grève victorieuse qui avait permis de réduire les horaires de travail, le conflit larvé s’est transformé en opposition frontale à l’été 2005, lorsque les employés ont eu l’outrecuidance de réclamer leur dû : les primes de rendement, prévues par la convention d’établissement des mines en cas de surproduction, dont ils attendaient le versement depuis quatre ans.
Ce dur conflit mériterait d’entrer dans les annales des grandes batailles ouvrières. Face à la grève, la Somadex répond par le lock-out et les licenciements massifs (plusieurs centaines de mineurs licenciés en août 2005). Pour contrer la détermination des grévistes et de leurs familles, les gendarmes du coin - subventionnés, heureux hasard, par les multinationales dans le cadre du contrat de « développement » local… - procèdent à l’arrestation des leaders syndicaux. Et quand, en septembre 2005, deux bus de la Somadex prennent mystérieusement feu, à quelques mètres de la gendarmerie, le mouvement de contestation est décapité : trente deux grévistes sont raflés, et emprisonnés. Une belle opération que les grévistes soupçonnent fort d’être une provocation.
Parmi les trente deux anciens grévistes arrêtés, neuf sont toujours en prison près d’un an plus tard, en violation, selon la FIDH , du Pacte international sur les droits civils et politiques ratifié par le Mali et alors qu’aucune preuve ne semble avoir été donnée de leur implication dans l’incendie des bus de la Somadex.
Ayant, depuis l’été dernier, écarté les gêneurs et remplacé la plupart des grévistes, Bouygues peut donc poursuivre tranquillement l’exploitation de la mine de Morila. Et ce n’est pas TF1, sa filiale télévisée, qui viendra l’en empêcher en enquêtant sur les agissements de la maison mère. Les chaînes concurrentes non plus d’ailleurs… Trop banal, sûrement.
[1] Ce qui a permis, selon Jeune Afrique, Morila-SA de réaliser « un chiffre d’affaires de 295,9 millions de dollars en 2005 pour un bénéfice net de 117,4 millions de dollars ! Un résultat qui en fait la première société minière d’Afrique de l’Ouest par les revenus et l’une des plus rentables d’Afrique par le ratio résultat net sur chiffre d’affaires. » (« Mali, à qui profite l’or jaune ? », 30 juillet 2006).