Notre bon ami, Christian Eboulé, journaliste à TV5 et doctorant de l’EHESS nous a fait parvenir un texte fort goutu et sans effluves
Il y a près dix-huit ans, éclatait l’un des premiers scandales sur l’exportation de déchets toxiques des pays industrialisés vers Afrique. L’affaire fut révélée par un journal portugais, le Diario Popular sous le titre suivant : « Bissau reçoit les déchets de l’Occident ». Le journal écrivait alors que le gouvernement de Guinée-Bissau avait signé un contrat de 600 millions de dollars avec la société Bis-Import Export, portant sur le stockage de 15 millions de tonnes de déchets toxiques. Des informations qui seront ensuite confirmées par le ministre des Ressources naturelles et de l’Industrie de l’époque, Filinto Barros, qui était également l’un des signataires du contrat au nom de son gouvernement. Aujourd’hui, c’est en Côte d’Ivoire qu’a lieu un scandale lié à des déchets dangereux. Si ces scandales diffèrent dans la forme et dans la nature des déchets en cause, dans le fond, ils nous ramènent à des problématiques identiques. Le trafic illicite des déchets toxiques.
Dans le cas bissau-guinéen, le contrat signé le 04 octobre 1987, à Farim, - petite localité située à quelques kilomètres de la frontière sénégalaise- , portait sur l’importation pendant dix ans d’un minimum de 50 000 tonnes de déchets industriels dangereux, au prix de 40 dollars la tonne. Mais l’affaire la plus célèbre est sans conteste celle du « Zanoobia », du nom de ce cargo qui en 1988, transportait à son bord 2200 tonnes de résidus de diverses entreprises italiennes. Pendant plus d’un an, cette cargaison va errer en mer entre Djibouti, le Vénézuela, la Syrie, la Grèce et enfin Gênes en Italie.
Au-delà de l’émotion légitime et des conséquences sanitaires et environnementales de ces événements, ils mettent en lumière les problèmes que posent au Nord comme au Sud le traitement et l’élimination des déchets, et surtout, leur exportation vers les pays pauvres afin de réduire les coûts de traitement. Confrontée à une dette extérieure abyssale – elle s’élevait à près de 400 millions de dollars en 1987 – la Guinée Bissau pensait pouvoir résoudre nombre de ses problèmes en important des déchets toxiques. Et pour les producteurs de déchets, c’était évidement une aubaine. Le coût du déversement de leurs déchets à Farim était inférieur à un traitement et une élimination conforme aux règles internationales. Dans les pays industrialisés en effet, le renforcement des réglementations a considérablement accru les coûts. La recherche des moyens d’élimination peu coûteux génère des mouvements transfrontaliers de déchets et un trafic illégal. Ce commerce illicite a créé à son tour un véritable marché, qui est d’autant plus lucratif que les déchets sont dangereux, donc coûteux à éliminer. On comprend pourquoi de nombreuses sociétés sont tentées de contourner la loi, créant ainsi un marché parallèle du déchet, dont les pratiques sont plutôt mafieuses.
Ce trafic est parfaitement organisé ! Et dans la plupart des affaires concernant l’exportation illégale de déchets dangereux, on retrouve bien souvent les mêmes schémas. Nous ne citerons que les deux modes opératoires les plus connus. Dans le premier, en amont, il y a des sociétés industrielles qui ont bien souvent pignon sur rue. Avec l’augmentation sans cesse croissante des volumes de déchets qu’elles produisent, elles sont en permanence à la recherche de solutions d’élimination au moindre coût. Afin de répondre à cet impératif, elles ont comme alternative, des sociétés qui disposent de toutes les autorisations, pour les débarrasser de leurs déchets, contre un paiement inférieur au coût d’élimination. Règle d’or dans ce type de société : ne jamais révéler l’identité des sociétés qui leur livrent ainsi des déchets. Une fois les déchets collectés, ils sont amenés de leur lieu de stockage vers un port d’embarquement, où ils sont pris en charge par une nouvelle société. A partir de ce moment là, cette dernière assume l’entière responsabilité des déchets dont elle vient de prendre possession, et dont l’origine (celle des déchets) devient alors inconnue. Très souvent d’ailleurs, les déchets sont mélangés afin de mieux brouiller les pistes qui peuvent conduire au donneur d’ordre qui est en amont.
La société qui se retrouve ainsi en aval du système, s’engage à transporter les déchets jusqu’à leur destination finale. Mais la plupart du temps, elle fait appel sur place à un sous-traitant local qui fera la sale besogne : déverser les déchets dans la nature. Le second mode opératoire pour se débarrasser des déchets à moindre coût, consiste à délocaliser les entreprises les plus polluantes vers les pays du Sud. Ces transferts d’entreprises constituent une exportation indirecte de déchets dangereux. L’absence de réglementation contraignante et de contrôle dans les pays d’accueil, tout comme les faibles coûts d’investissements, sont les principales motivations des entreprises qui se débarrassent ainsi de leurs déchets. Les gouvernements qui acceptent d’accueillir de telles entreprises privilégient l’industrialisation pour elle-même, sans tenir compte des conséquences environnementales et sanitaires de telles décisions.
Quelque soit le mode opératoire utilisé pour se débarrasser de déchets dangereux, il s’agit de comportements voyous, en violation du droit international et de la plupart des législations nationales. Or, dans son article 4, la Convention de Bâle est particulièrement claire : elle interdit « […]les exportations de déchets dangereux ou d’autres déchets à destination des Etats ou groupes d’Etats appartenant à des organisations d’intégration politique ou économique qui sont Parties, particulièrement les pays en développement, qui ont interdit par leur législation toute importation, ou si elle a des raisons de croire que les déchets en question n’y seront pas gérés selon des méthodes écologiquement rationnelles[…] ». Initiée par le Programme des Nations Unies pour l’Environnement, la Convention de Bâle a été adoptée le 22 mars 1989. C’est un traité international, qui porte sur le contrôle des mouvements transfrontières des déchets dangereux et de leur élimination. Elle a pour objectif de réduire la circulation des déchets dangereux, et surtout d’éviter leur transfert des pays développés vers les pays en voie de développement. La Convention de Bamako qui est son pendant pour le continent noir repose sur les même principes. Elle a été adoptée sous l’égide de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) devenue depuis l’Union Africaine (UA). Et elle est entrée en vigueur le 20 mars 1996. Elle porte notamment sur l’interdiction d’importer en Afrique des déchets dangereux ou radioactifs, et le contrôle de leurs mouvements transfrontières sur l’ensemble du continent.
Mais bien souvent, chez nombre de dirigeants des pays du Sud, l’appât du gain supplante les préoccupations environnementales. Dans le cas du Probo Koala en Côte d’Ivoire, les responsabilités seront peut-être clairement établies dans les prochaines semaines. Mais le passé de la société Trafigura Beheer BV qui a affrété ce tanker ne laisse aucun doute sur le caractère « mafieux » de l’opération. Elle a été fondée en 1993 par des collaborateurs de l’homme d’affaires américain Marc Rich, condamné dans son pays pour fraude fiscale. Cette société enregistrée aux Pays-Bas pour des raisons fiscales, a son véritable siège en Suisse, avec pour actionnaires des sociétés basées dans des paradis fiscaux : Jersey, Malte et les Antilles néerlandaises. Mais surtout, ce consortium a été mêlé à plusieurs scandales, dont le plus important concerne le programme « Pétrole contre nourriture » des Nations Unies.
Les enquêtes lancées par le gouvernement ivoirien et surtout par le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) établiront peut-être que les déchets toxiques déversés aux abords de la ville d’Abidjan étaient issus d’un trafic illégal en provenance d’Europe. Mais pour tous ces scandales, on peut affirmer que les gouvernements chargés de protéger nos populations et l’intégrité de nos territoires ont très largement failli dans leur mission. Malgré les Convention de Bâle et de Bamako, le trafic des déchets semble plus que jamais en augmentation. Les traités internationaux affichent ainsi leurs limites. Il est vrai que dans l’absolu, les lois n’ont jamais protégé personne. Il faut des hommes pour les mettre en œuvre et surtout garantir leur respect. De la même manière, ces événements font également apparaître de façon criante, l’hypocrisie néocoloniale d’une mondialisation qui profite à quelques acteurs, qui se trouvent généralement en Occident, ou au sein des « élites » des pays en voie de développement.
Christian Eboulé Journaliste à TV5 Doctorant à l’EHESS
A la lecture de votre article, je trouve peu d’elements probants. La societe Trafigura a ete melee a des scandales concernant le commerce de petrole, mais comment pouvez vous en deduire qu’elle peut etre a l’origine d’un trafic mafieux de dechets toxiques ? Il faudrait avancer un debut de preuve.
D’autre part, vous parlez des gouvernements et des lois qui nous protegent mal, mais pourquoi ne pas evoquer la corruption des responsables du port d’Abidjan, du district d’Abdjan et des affaires maritimes, mis en cause (et relevés de leurs fonctions) par le rapport de la commission d’enquete diligentée par le 1 er ministre de cote d’ivoire, Konan Banny ? Sans parler de la creation en sous main de la societe Tommy par Marcel Gossio. Societe qui a obtenu le marché, a receptionné les dechets et les a deverses sur les decharges d’abidjan.Sans aucun etat d’ame. Marcel Gossio pourvoyeur de fonds du president ivoirien.
Et pendant ce temps on ne s’emeut guere que 2 francais,dont la liberation provisoire a ete refusee 2 fois, soient retenus en prison en cote d’ivoire a titre preventif depuis 3 mois et demie, pour empoisonnement alors que l’on est sûr qu’ils ne peuvent etre directement responsables du deversement des dechets toxiques.