De drôles de personnages laissent vagabonder leur imaginaire et leur libido. Le film foufou d’un gamin de 87 ans. Primé à Cannes.
- Si j’étais un chat, je pourrais manger des croquettes ?
Pardon ?
Si j’étais un chat, je pourrais manger des croquettes ?
Tu t’es remis au crack ?
Encore mieux, j’ai vu le dernier Resnais.
Quel rapport avec les croquettes ?
Eh bien, c’est la dernière réplique des Herbes folles ?
On dirait qu’il en a trop fumé, papy Resnais.
J’te permets pas. Alain Resnais, 87 ans aux fraises, a signé le film le plus jeune, le plus libre, le plus drôle, le plus surréaliste du dernier festival de Cannes. D’ailleurs, le jury lui a bricolé un prix « exceptionnel », ce qui l’a bien fait marrer quand il est monté sur scène récupérer la babiole…
Et ça parle de quoi ?
C’est assez irracontable. En allant acheter une paire de chaussures rouges, une dentiste rousse, Sabine Azéma, se fait arracher son sac jaune. Son portefeuille rouge est retrouvé dans un parking par André Dussollier, un retraité cinéphile, serial killer sur les bords. Son cœur et son esprit s’emballent et la suite ressemble à un cadavre exquis. Entre Sceaux et L’Haÿ-les-Roses, le retraité commence à harceler la dentiste nerveuse de la roulette, une voix-off ironique – celle d’Edouard Baer – s’en mêle et s’emmêle, la police intervient… Coups de théâtre, coups de rêve, quiproquos absurdes, collages, songes, contre-pied, pieds de nez : on s’envoie en l’air dans un vieux coucou, il y a un baiser sur fond de générique de la Twentieth Century Fox, mais une braguette ouverte va provoquer une catastrophe…
Bizarre, tu as dit bizarre ?
Et encore, je ne t’ai pas raconté la moitié. La première image de ce film marabou-bout-de-ficelle, c’est un plan sur des herbes qui s’infiltrent entre deux plaques de bitume, ces herbes sauvages qui poussent malgré tout entre les pavés, comme les idées folles qui nous traversent les cerveaux, ou ces pré-rêves qui nous assaillent, juste avant le sommeil.
Rien à voir avec le film précédent de Resnais, "Cœurs" ?
Tout à voir. "Cœurs" était crépusculaire, glaçant, mais racontait, en gros, la même histoire, à savoir la quête de l’âme sœur. Un sujet que l’auteur de "Muriel" et "Je t’aime, je t’aime" connaît parfaitement bien. Il adapte ici L’Incident, un roman de Christian Gailly. Mais sur la forme, on dirait un Buñuel dernière période, au hasard "Le Fantôme de la liberté", un film drôle, léger et sans graisse, avec la photo fantasmatique d’un Wong Kar-waï et sur un tempo très jazzy. Fan de la BD Mandrake qu’il a failli adapter, Resnais est le magicien du cinéma.
Un mot sur les acteurs, la bande à Resnais ?
Dussollier est drôlement inquiétant quand il déclare, à la vue de deux minettes, « Ces deux-là, je les buterais bien. » Mathieu Amalric, Emmanuelle Devos, Annie Cordy ou Roger Pierre – qui ressemble maintenant à ma grand-mère - s’amusent comme des petits fous. Françoise Gillard, de la Comédie Française, a deux scènes et elle est formidable. Quant à Anne Consigny, imper rouge, béret noir, j’en suis tombé éperdument amoureux.
Conclusion ?
Si j’étais un chat, je pourrais manger des croquettes ?
Les Herbes folles d’Alain Resnais avec Sabine Azéma, André Dussollier, Anne Consigny, Emmanuelle Devos.
En salles depuis le 4 novembre.
Vous écrivez plein de choses intéressantes sur ce qu’est ou devrait être le cinématographe. J’ai l’impression que j’en parle dans mes papiers (le son, la lumière, le cadre, la mise en scène, l’esthétique…), même si je n’écris pas pour les Cahiers, dont vous devez être un fidèle lecteur.
Pour la fin ("petites crottes", "vannes de garçon de bain", "plumitif", et même - insulte suprême - une comparaison à Libé), ce n’est pas très constructif et sûrement assez indigne de vous.
Bonne année quand même.