Le réalisateur Jean-Michel Carré donne la parole aux prostitués volontaires dans un documentaire anti-préjugés : "Les Travailleuses du sexe". En salles le 3 février.
Boîtes à strip tease, salons du film X, grandes surfaces épurées spécialisées dans le sex toy et le vibromasseur (simple ou double pour les bac + 5), réunions sexuelles à domicile, clubs échangistes, tous ces marchés du porno ou apparentés se sont développés ces dernières années. Car tout ce qui touche au plaisir attise aussi les profits.
Pour montrer comment fonctionnent ces boîtes, qui appartiennent à de gros groupes cotés en bourse, les premières scènes du film "Les Travailleuses du sexe", de Jean-Michel Carré, sont chocs et rythmées. Dans un dancing tamisé, de jolies jeunes femmes sexy défilent, dansent, ondulent contre des barres de pole dance, faisant valoir leurs plus beaux atours. Ah, c’est inévitable ! Sur son siège, le spectateur frissonne… ou trépigne. Dans les coulisses, les filles apprennent les pas : « un, deux, tu vois, tu tournes comme ça, mais ne présentes jamais ton corps face au client ».
Les images qui suivent, au salon du film X (Le Bourget), sont bien moins érotiques. Tel un combat d’animaux sauvages, un homme et une femme, un peu gymnastes, baisent mécaniquement sur une estrade, entourés de spectateurs, voyeurs, caméras au poing pour les uns, téléphones portables levés et yeux pétillants pour les autres.
A côté de ces formes de loisirs érotiques existe toujours la prostitution, l’éternelle, le plus vieux métier du monde. Et Isabelle, mère de famille prostituée et fière de l’être, fait toute la différence entre le marché du porno et son boulot : « Lorsqu’on est prostituée, on ne répond à aucune logique de productivité. Nous restons des artisans ».
Plus loin, en Belgique, Sonia, toujours belle à la cinquantaine, respecte son métier autant que celui d’infirmière. Ses voisins moins. « On passe son temps à m’appeler “sale pute”. Alors moi, pour résoudre le problème, je m’appelle moi-même pute ».
Et Nicolas Sarkozy aussi… En 2003, il a interdit le racolage passif [1]. Ce qui a d’abord entraîné des manifestations de prostitué(e)s puis l’idée du film. S’il existe bien des femmes qui vendent leur corps contre leur gré, des filles de l’Est sans le sou qui en souffrent, d’autres femmes, travestis ou hermaphrodites le vivent bien. Ceux à qui Jean-Michel Carré a donné la parole.
Debout dos au mur rouge de son appartement, Sonia se retartine les lèvres, s’allume une clope, et explique : « Il y a de l’exploitation dans le sport, la cuisine, etc. Les arguments justes contre la prostitution sont valables pour l’ensemble de la société ».
Sonia a des clients de toutes sortes. Du beau gosse à l’handicapé moteur, en passant par le vieux presque gâteux, dont l’un semble éperdument amoureux d’elle. « Il y a un plaisir narcissique dans ce métier. Il y a des hommes toute la journée qui me disent : “tu es la plus belle du quartier”. Et j’ai 56 ans, alors qu’à quelques mètres, il y a des filles de vingt ans roulées comme des camions ». Elle ajoute : « Chez moi, c’est un espace hors du cadre social. Le client n’est pas obligé d’être puissant, d’être fort. Il peut me parler ou pas. Tant qu’il respecte le contrat, il est libre ». Il y en a un, même, qui lui demande de faire la morte. « Et il est très maladroit ! Il a dû être castré grave par une femme. Sa sexualité est foutue ».
Le film nous emmène jusqu’en Suisse, où la prostitution est autorisée. Les prostituées ont un statut social, la Sécu… Et un site internet propose des tarifs qui accompagnent les possibilités ("fellation", "avale" ou pas, etc.). Une travailleuse du sexe suisse parle depuis une chambre ravissante. Souriante, elle confie s’être gardée un jardin secret : « Je n’accepte que le baiser, la fellation et la sodomie ». Le reste, c’est pour son mec.
Au final, le film réussit son pari. Briser un tabou et amener le spectateur à revoir ses préjugés. De là à faire annuler la loi de 2003…
Voir la bande annonce du film :
« Les travailleuses du sexe », un film de Jean-Michel Carré
Sortie en salles le 3 février
[1] Le mardi 21 janvier 2003, les députés ont adopté le texte proposé par le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy, qui crée un délit de racolage passif, une peine de 2 mois de prison au plus et 3.750 € d’amende pour fait de racolage