Le Conseil supérieur de la magistrature s’apprête à sanctionner Daniel Zappelli, le procureur général de Genève. Motif ? Il a tenté d’étouffer une affaire de blanchiment touchant des fonds angolais.
À Genève, il y a eu un avant et un après Bernard Bertossa. Avant lui, les valises d’argent passaient allègrement la frontière, et les grandes banques ne perdaient même plus de temps de compter les billets, elles les pesaient. 40 kilos de billets verts, ça vous fait 10 millions de dollars.
Mais après deux mandats, de 1990 à 2002, ce socialiste à l’origine du fameux Appel de Genève se retire. Banquiers et avocats d’affaires se cotisent et financent la campagne d’un jeune bringueur au crâne dégarni, Daniel Zappelli.
Dans la Cité de Calvin, les magistrats sont élus. Daniel Zappelli gagne, en 2002 et 2008. Son programme : faire de l’anti-Bertossa. Il traque les voleurs de vélomoteurs et enterre les histoires de blanchiment d’argent.
Mais cette fois, cet amateur de champagne a poussé le bouchon un peu trop loin. Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) de Genève, qui n’est pourtant pas composée d’horribles gauchistes, a décidé de lui infliger une sanction.
Daniel Zappelli s’est fait prendre dans une belle affaire de blanchiment, mêlant des demi-soldes de l’affaire Elf et les économies du président de l’Angola et de ses plus proches collaborateurs.
Mais commençons par le début.
C’est dans les vieilles marmites que l’on concocte les meilleures mixtures. Au début des années 2000, des dignitaires angolais, noyés sous les pétrodollars, font appel à Jack Sigolet, ancien directeur financier d’Elf pour l’Afrique, pour camoufler leur trésor de guerre.
200 millions de dollars prennent le chemin de Nassau, aux Bahamas, dans les coffres d’une filiale de la Banque de Patrimoines Privés Genève. Seulement voilà, François Rouge, le patron de ladite banque, est arrêté fin 2007 en France dans l’affaire du Cercle Concorde. Branle-bas de combat à Genève. Jack Sigolet décide de changer de crémerie et de transférer très vite les fonds angolais à Hong Kong.
Mais Sigolet se montre si peu discret, que le juge suisse Yves Aeschlimann lui tombe dessus et l’inculpe pour blanchiment aggravé, ainsi que Riccardo Mortara, l’ancien pilote d’avion d’Alfred Sirven, l’ancien bras droit du PDG d’Elf, aujourd’hui décédé, et Nicolas Junod, un avocat suisse spécialiste des montages exotiques.
L’histoire se serait arrêtée là si le juge, lors d’une perquisition en mars 2009, n’était tombé sur un mot manuscrit écrit de la main de l’avocat français Claude Richard, ancien défenseur de Maurice Bidermann, lui aussi mis en cause dans l’affaire Elf.
Que dit Claude Richard ? Que le procureur général de Genève « est hostile à cette poursuite et il est prêt à se saisir d’un élément qui lui permettrait d’intervenir. Encore faut-il que cet élément lui parvienne rapidement ».
Or, par le plus grand des hasards, Daniel Zappelli retire justement l’enquête au magistrat pour la confier au Ministère public de la Confédération à Berne. Le Ministère public à Berne, qui ne dispose que de moyens dérisoires, risque de somnoler longtemps sur le dossier angolais.
Manque de chance pour le procureur de Genève, le juge refuse de se dessaisir du dossier. Et le Tribunal pénal fédéral, la plus haute instance judiciaire de Suisse, lui donne raison, considérant « que les autorités de poursuite pénale du canton de Genève sont déclarées seules compétentes pour poursuivre et juger ».
De son côté, la Chambre d’accusation (organe de contrôle des décisions des juges d’instruction et du Parquet) désavoue également Daniel Zappelli en estimant qu’il a surestimé ses prérogatives. Cette passation de procédure, à un stade aussi avancé de l’enquête, ne peut s’expliquer que par une volonté de compliquer les investigations. Et d’éviter, en bout de course, des sanctions aux trois personnes inculpées…
Daniel Zappelli devrait écoper la semaine prochaine d’un… avertissement. Une sanction. Certes, pas trop rude, mais qui fait tout de même tache pour le premier magistrat du canton.