Le sans-papier, les militantes et "Me Connard"

La phrase qui fâche : « C’est quasi foutu pour D. à cause de ce connard qui n’a pas fait son travail ». Explication de texte : « D » est un sans papier soutenu par le Réseau éducation sans frontière (RESF) sur le point d’être renvoyé au pays à l’été 2008. « Ce connard », lui, est un avocat du barreau de Créteil qui a (mal ?) défendu Monsieur D. On ne sait rien malheureusement du destin de « D ». Maître X par contre, n’a pas du tout apprécié la qualification de « connard » diffusée sur Internet avec ses noms et coordonnées.

Grosse colère

Ce vendredi 13 novembre se tenait au tribunal correctionnel de Créteil le procès des deux militantes poursuivies après diffusion du fameux document : une liste à l’intention des comités locaux recensant les avocats connus de l’association. Les « bons », les « moins bons » et ceux qui, « par leurs pratiques » selon RESF, mettent en danger les personnes qu’ils sont censés défendre. Concocté par des militants qui n’y connaissent rien au droit et qui font simplement part d’une « expérience » ou d’un « ressenti », ce répertoire devait rester interne à RESF.

Or par « inadvertance », du fait d’une « erreur de paramétrage » selon l’association, cette liste noire s’est retrouvé répertoriée par les moteurs de recherche. D’où la grosse colère de Me Connard (appelons-le ainsi) qui porte plainte pour « injures publiques envers un particulier ». Plainte à laquelle se joint la bâtonnière du barreau de Créteil pour « défendre une profession ». Ni plus, ni moins.

« Craignez qu’un jour, les avocats cessent de vous défendre »

Dans la salle, une vingtaine de militants RESF. Sur le banc des parties civiles, une belle poignée d’avocats du barreau de Créteil, venus en soutien à Me Connard, qui ne s’est pas déplacé – trop de publicité. Beaucoup de monde et de tensions dans les deux camps. Car sans le savoir, les militants RESF se sont attaqués à une figure appréciée du barreau : « C’est un confrère qui n’a jamais manqué à l’honneur de sa robe », avance sa défense. Hors audience, plusieurs avocats confirment : « Le connaissant, franchement, c’est le type d’homme dont les valeurs sont très proches d’une association comme RESF. S’il assure ces permanences, c’est par conviction : il est payé des clopinettes pour traiter ces dossiers. En plus, la procédure prouve qu’il a fait le maximum pour défendre Monsieur D. »

Outre le cas personnel de Me Connard, le barreau veut aller plus loin. Car pour Mme le bâtonnier, « l’époque est grave ». À l’heure où tout est noté et commenté sur Internet, on ne peut pas se permettre de « faire la justice partout » : « Celui-ci est un connard, l’autre est mauvais – ce n’est pas acceptable. À force de mépriser les avocats, et je le dis à la salle, craignez qu’un jour, les avocats cessent de vous défendre ! »

Pas de monopole pour défendre les vulnérables

Côté RESF, le profil bas est total : « Le terme “Connard”, personne ne l’approuve », avance l’un des fondateurs de l’association. Et de répéter que la diffusion de la liste n’a pas été préméditée, qu’ils ont aussi tout fait pour qu’elle disparaisse définitivement des moteurs de recherche. Leur défense, Me Terrel, se bat courageusement face aux avocats de son propre barreau, dressés comme un mur face à elle : « Nous n’avons pas le monopole de la défense !, s’insurge-t-elle. Les associations sont aussi là pour protéger les plus vulnérables – je ne peux pas vous laisser les mépriser ainsi. Je sais que le plaignant est un avocat, mais il ne s’agit pas ici de personnaliser les débats. Oui, parfois, les avocats font mal leur travail, c’est un fait. Arrêtons avec ce corporatisme ».

« Prescription des faits », juge au final le tribunal. Malgré tout, le débat continue sur le fond : « C’est une audience purement pédagogique », souffle alors un avocat. Comprendre : on laisse à chacun le loisir de s’exprimer, on expie, on exprime les fâcheries, on s’invective, on se tape dans le dos, on se réconcilie. Pendant les suspensions, la salle se mélange, le ton monte, les deux camps s’expliquent et finissent par s’échanger coordonnées et bons tuyaux. Une fois n’est pas coutume, ce sont bien les avocats qui ressentaient ce vendredi le besoin d’une audience pédago-thérapeutique.