Le dialogue inter-libanais prend des allures de coopérative basque. Pas sûr que la liberté y gagne…
A Beyrouth s’ouvrait jeudi le huitième round du dialogue interlibanais alors que le belge Serge Brammertz s’envolait pour New York, où il doit présenter à Kofi Annan son rapport sur la mort de Rafik Hariri. Les participants à la conférence devaient en théorie exclusivement discuter de la stratégie de défense du Liban face à Israël. En clair, de l’avenir de l’arsenal du parti chiite Hezbollah. Mais l’actualité aura imposé son propre agenda aux leaders. Ainsi, les émeutes du jeudi 1er juin qui avaient vu les partisans du Hezbollah investir des quartiers sunnites et chrétiens suite à la diffusion sur la chaîne LBC d’un sketch humoristique brocardant Nasrallah, le secrétaire général du Parti de Dieu, ont quasiment monopolisé les débats. Ce n’est donc pas un hasard si la principale réalisation des quatorze leaders a été la signature d’un « pacte d’honneur » qui vise à résorber les tensions confessionnelles. Une heureuse initiative, mais reste à voir quelles en seront les effets sur le terrain, et si elle pourra effectivement tenir plus longtemps que toutes les tentatives cosmétiques d’arrondir les angles et de sauver les meubles développées jusqu’à présent à chaque fois qu’une querelle interne menace l’équilibre et la stabilité du pays.
Selon les termes du document, il est nécessaire « d’adopter un pacte d’honneur régissant la vie démocratique au Liban et les relations entre les forces, les partis, les courants et les personnalités politiques, de manière à ce que tout le monde s’engage à respecter les règles du respect mutuel dans le discours politique et médiatique et les traditions démocratiques qui ont marqué notre vie politique, laquelle préserve le droit à la différence d’opinion et la liberté de critiquer loin des atteintes, notamment à la dignité personnelle et à la liberté de pensée ».
Le texte évoque aussi la nécessité de « limiter la pratique de la liberté d’expression ou les revendications dans le cadre des institutions constitutionnelles et conformément aux lois en vigueur pour éviter les excès et empêcher tout acte de vandalisme potentiel ». « Pour qu’il n’y ait pas de mauvaise interprétation, le droit à la manifestation est évidemment légitime, mais conformément aux lois, une demande doit être faite au ministère de l’Intérieur pour manifester. Les revendications et le droit de manifester sont intouchables et sacro-saints », a ajouté le Président de la Chambre Nabih Berry.
La majorité parlementaire antisyrienne a largement développé sa vision concernant la politique de défense du Liban. Le leader des Forces libanaises (FL), Samir Geagea, a souligné d’emblée que l’assassinat du responsable du Jihad islamique à Saïda, en mai dernier, ainsi que les tirs de katiouchas du 28 mai contre le nord d’Israël à partir de certains secteurs du Liban-Sud ont clairement apporté la preuve que la thèse du Hezbollah selon laquelle son armement a un rôle dissuasif face à Israël est erronée.
Geagea a souligné en effet que ces développements ont illustré le fait que non seulement les armes du Hezbollah n’ont pas pu empêcher les derniers débordements des groupuscules palestiniens, mais surtout elles n’ont eu aucun impact dissuasif face aux bombardements et aux raids israéliens qui ont suivi les tirs de katiouchas. Il propose donc : le déploiement d’une force de frappe de l’ONU le long de la frontière avec Israël, similiaire à celle du Kosovo. Il s’agirait bien d’une force de frappe onusienne et non d’une simple force de paix ; le déploiement, de façon « opérationnelle » (et non pas dans les casernes), des unités de commandos de l’armée libanaise dans la région méridionale et le long de la frontière ; les combattants actuels du Hezbollah constitueraient une force de réserve qui servirait de soutien à l’armée en cas de besoin.
À la suite de l’exposé de Geagea, le chef du Hezbollah a pris la parole pour souligner qu’une force de frappe de l’ONU n’aurait pas la même efficacité qu’au Kosovo car « la position de la communauté internationale vis-à-vis d’Israël n’est pas la même qu’au Kosovo ». Nasrallah a en outre affirmé que si l’armée libanaise prend possession du terrain au Liban-Sud, les éventuelles opérations israéliennes prendraient alors pour cible non pas les positions du Hezbollah ou des groupuscules palestiniens, mais plutôt celles de l’armée ainsi que l’infrastructure étatique. Ce à quoi le leader des FL a répondu en soulignant, d’abord, que si l’ONU déploie une force de frappe le long de la frontière avec Israël, l’attitude de ces forces onusiennes ne saurait être partiale car elles auraient un mandat clairement défini par les instances internationales. Quant à l’argument concernant la prise en charge du Sud par l’armée et les conséquences que cela entraînerait, Geagea a précisé que d’éventuels bombardements contre des positions de l’armée ou des infrastructures étatiques coûteraient très cher politiquement et diplomatiquement à Israël, sans compter qu’en toute logique, l’effort de guerre devrait être supporté par tous les Libanais et non pas seulement par un seul parti. En tout état de cause, Nasrallah a réservé ses commentaires aux propositions de Geagea à la prochaine réunion, fin juin.
À la suite de l’intervention du chef des FL, le leader du PSP, Walid Joumblatt, a pris la parole pour évoquer le volet politique de la position des forces du 14 Mars. Joumblatt a notamment souligné que les participants à la conférence de dialogue devraient une fois pour toutes se décider si oui ou non ils désirent édifier un État, en bonne et due forme. En d’autres termes, la logique de l’État doit se substituer à la logique révolutionnaire. De leur côté, l’ancien Président Amine Gemayel ainsi que les députés Boutros Harb et Saad Hariri ont également pris la parole pour souligner qu’il était grand temps d’édifier un État fort qui serait garant des intérêts de toutes les composantes de la société, affirmant que la logique défendue par le Hezbollah entrave le processus d’édification d’un tel État. Prochain round le 29 juin.