Le supplément publicitaire consacré par "Le Monde" au Cameroun a au moins un mérite, il fait rire les Camerounais.
Les républiques bananières ont la presse qu’elles méritent. Au Cameroun, par exemple, existe un quotidien qui fait commerce de la promotion de tout ce que le pays compte de riches et de puissants. Cela s’appelle Cameroon Tribune. On y dorlote, on s’en doute, Son Excellence Paul Biya, sa chère et tendre Chantal et tout ce qui ressemble à un militant Rdpc (Rassemblement démocratique du peuple camerounais, au pouvoir depuis toujours ou presque). Les ministres, les galonnés, les universitaires à la botte y sont, évidemment, fort bien accueillis. Et l’ambassadeur de France, choyé lui aussi, s’y répand dans de soporifiques interviews en « Une » et en couleur. La tribune, en clair, des Camerounais satisfaits.
Il serait injuste pourtant d’accabler la gazette gouvernementale qui a au moins le mérite de s’acquitter avec talent de la tâche qui lui est confiée. Les journaux privés qui se prétendent fièrement « indépendants », eux, n’en font pas toujours autant. Bien qu’elle sache parfois montrer les crocs, cette presse « indépendante » s’attaque assez rarement aux ministres qui ont la gentillesse de renflouer leurs caisses. On ne mord pas la main nourricière. Aussi beaucoup de journaux camerounais sont-ils quotidiennement truffés d’interminables pages de publicité payées rubis sur l’ongle par de puissants ministres. Lesquels peuvent ainsi calmer les ardeurs contestatrices et dormir sur leurs deux oreilles. Au pays des Lions, où la moindre petite pièce est déjà une grande victoire, les journalistes ne sont pas indomptables.
Les républiques bananières, donc, ont la presse qu’elles méritent. Et il en va de la France comme du Cameroun. Car au royaume chiraco-sarkozien aussi, il existe des journaux qui aiment les riches, les puissants… et leurs amis africains. C’est le cas, notamment, du journal Le Monde qui vient d’offrir gracieusement à ses lecteurs, la semaine dernière, une quadruple page tout entière consacrée au « Cameroun ». Un pays enchanté, à en croire l’agence de communication AlterMedia, réalisatrice de ce supplément promotionnel, où la joie de vivre rime avec l’esprit d’entreprise. Un paradis, en somme, où les entrepreneurs français sont plus qu’invités à venir se repaître des cadavres d’une économie camerounaise en cours de privatisation et où, par chance, le retour sur investissement est providentiellement garanti… par l’exceptionnelle longévité du chef de l’Etat. Agrémentée de jolis illustrations à mi-chemin entre l’imagerie coloniale et la propagande soviétique, cette onctueuse logorrhée, qui ne dépayserait pas les inconditionnels de Cameroun Tribune, ne pourra que convaincre les lecteurs du Monde ignorants du bonheur qui submerge le pays de Paul Biya. Un bonheur tel, s’extasie AlterMedia, que « le Cameroun est le premier pays consommateur de champagne en Afrique ! ». Les millions de Camerounais qui triment au fond de leur taudis en ont encore la gueule de bois.
Dans la presse française, on le voit, on s’enivre des richesses (publicitaires) des pays pauvres. Et, en ce qui concerne Le Monde et le Cameroun, on commence à être habitué. Déjà en juillet dernier, le quotidien du soir avait salué la petite visite parisienne du grand vizir de Yaoundé par une campagne de publicité « en faveur » du Cameroun (et de sa privatisation). « Cameroun, toute l’Afrique dans un pays », lisait-on dans l’édition du 25 juillet, à l’appui d’un cliché paradisiaque censé aguicher le touriste en mal d’aventure. Puis vinrent des images moins exotiques, mais assez similaires aux tristes placards-prétextes qu’offrent les généreux dignitaires aux journaux camerounais pour les faire ronronner : « La création du Douala Stock Exchange, une opportunité nouvelle pour investir au Cameroun » (26 juillet), « Les privatisations au cœur de la dynamique camerounaise. Le Cameroun avance… avancez avec le Cameroun » (28 juillet)… Achetez le Cameroun, chers lecteurs du Monde, c’est pas cher !
Question à 1000 francs Cfa : à quoi sert l’argent que s’offre Le Monde en publiant de telles œuvres d’art ? A beaucoup de choses sans doute. Mais certainement pas à offrir des billets d’avion à ses reporters pour vérifier sur place les fadaises qu’ils colportent. La preuve : en fouillant les archives du journal, même un manchot peut compter sur ses doigts le nombre de reporters du Monde envoyés ces dernières années au Cameroun. Rien ne sert d’aller rendre visite aux millions de Camerounais qui crèvent silencieusement la dalle pour se gaver sur leur dos : il suffit d’envoyer AlterMedia faire de juteux « alter-reportages » !
Avant la mystérieuse Alter Media, une agence de communication introuvable sur le net, les « publi-reportages » du Monde étaient réalisés par la très transparente, Interfrance Media. Enregistré dans un paradis fiscal trop méconnu, l’île de Man, Interfrance était également domicilié au très accueillant Panama. Et payait ses publi-reportages au Monde via un compte de la Bank of New-York, comme l’atteste un fax que Bakchich s’est procuré. Parmi les clients de cette vénérable institution, Omar Bongo, Sassou Nguesso ou la Sonangol, la compagnie pétrolière angolaise. Que du beau linge. Mais ce temps là est bien fini. Le Monde publicité et Interfrance média ne travaillent plus ensemble depuis le début de l’année, selon la régie pub du journal. Place désormais à Alter Media.
Faut-il donc croire qu’au Monde le « reportage » publicitaire tient lieu d’enquête journalistique ? C’est en tout cas l’impression qui se dégage, en miroir, à la lecture de la presse camerounaise. Visiblement honorée par la subite passion du Monde pour le pays et ayant sans doute fini par oublier à quoi ressemble un journaliste français, cette dernière se rabat sur… les auteurs du supplément promotionnel d’AlterMedia ! C’est ainsi que, aux termes de sa redoutable « enquête », le célébrissime Dimitri Sturdza – qu’on ne présente plus… – eu droit à sa bobine dans les journaux et à des questions carabinées. « Qu’y a-t-il de si intéressant au Cameroun pour mériter (sic) un publi dans le journal Le Monde ? », demanda benoîtement le quotidien Mutations au brave Dimitri (29 août 2006)… Une interview – et une tournure – nullement ironique qui en dit long sur l’intérêt que portent en règle générale les journaux de la métropole à l’ancienne colonie.
Et quand, trois semaines plus tard, Le Monde publie enfin le supplément tant attendu, Cameroon Tribune sort le champagne du frigo et paraphrase fièrement, sur trois colonnes, le mielleux « reportage ». En y ajoutant, tout de même, une touche de lucidité : « Certains pourraient ne pas se reconnaître à travers cette présentation trop lisse, trop parfaite de ce Cameroun où tout a l’air d’aller. Mais comme le dit un des auteurs de cet encart, ²plutôt que de se fier aux belles paroles et aux tableaux flatteurs, le mieux est d’aller voir sur place la réalité des choses. » (Cameroun Tribune, 21 septembre 2006). Le biya-dôlatre Cameroun Tribune donnerait-il des leçons de journalisme à son grand (con)frère ?