Manipuler les petits actionnaires sur le net et se faire pincer à la fin. C’est le triste destin de Jacques Gounon, patron d’Eurotunnel, et de "Martine". Une petite magouille familiale qui tourne mal.
Comme celui de Pinocchio, le nez de Jacques Gounon, le président d’Eurotunnel s’est allongé lorsqu’un journaliste à l’esprit mal tourné lui a demandé, il y a plusieurs mois, s’il connaissait "Martine ".
Réponse dans un sourire amusé de ce polytechnicien :
Je n’ai aucune idée de son identité.
"Martine" est un personnage virtuel que nul n’a jamais rencontré. Mais en 2005-2006, lors de la cruciale renégociation de l’incroyable dette du tunnel sous la Manche, elle est devenue une vedette incontournable du net. Du moins sur les très influents forums des sites Boursica.com et Boursorama.com où échangent des milliers de boursicoteurs.
Durant ces mois passionnels, celle qui se présentait comme une actionnaire de longue date, aujourd’hui « petite retraitée » avec « ses rhumatismes et tout » pianote du matin jusqu’au soir. Y compris le week-end. Dans un but louable : défendre Jacques Gounon, et chanter les mérites du plan de restructuration de la dette que ce « sauveur d’Eurotunnel » a ficelé avec les créanciers. Mais rien de définitif sans le vote des actionnaires fin 2006.
La petite mémé se révèle être une vraie Tatie Danielle. Acariâtre et mauvaise, elle accable tous ceux qui ne croient pas en Gounon et en son plan miracle d’ailleurs totalement incompréhensible. La communication officielle le vend comme un cadeau Bonux : les banques vont abandonner beaucoup et les petits actionnaires se refaire. Mais sur les forums, de plus en plus en doutent.
Au parfum des moindres tensions internes à Eurotunnuel, et laissant filtrer des informations confidentielles extrêmement troublantes, "Martine" fusille aussi tous les administrateurs ( comme Joseph Gouranton, et leurs conseils Alain Géniteau, le député UMP Pierre Cardo ainsi que les directeurs généraux ) qui s’opposent à Gounon. “Vieux gâteux", "pervers", "charognard", "planche pourrie". La mère Martine a un vocabulaire imagé… Il faut se remettre dans l’ambiance de l’époque pour comprendre le rôle de "Martine".
En 2004, une coalition d’actionnaires, pilotée par l’Adacte ( des actionnaires historiques) de Gouranton et par l’agitateur Nicolas Miguet, fait la révolution. Dehors l’ancienne direction d’Eurotunnel ! Grassement payée, elle cohabite avec ses créanciers qui grâce à la dette de 9 milliards empochent plus de 400 millions d’intérêts par an ! Les petits porteurs ont quant à eux investis presque 4 milliards d’euros et l’action ne vaut rien.
Aux manettes du tunnel, l’étrange attelage Adacte-Miguet explose au bout d’un an. Les premiers avec Cardo, Gouranton et leur conseil Georges Berlioz -puis Alain Géniteau- veulent déposer le bilan : une catastrophe absolue pour certains créanciers. Les hommes de Miguet s’y opposent. Le conflit fait une victime, Jacques Maillot, l’ancien patron de Nouvelles frontières qui a été bombardé président d’Eurotunnel. Mais la "Grande gueule" de l’émission de RMC du même nom ne s’avère pas seulement farfelu. Il finit par se déballonner complètement.
Entre en scène un certain Jacques Gounon. Ancien de Cégélec il a laissé un souvenir exécrable à certains dirigeants de cette boîte, dont la reprise par leverage buy-out (LBO [1]) lui a garanti une belle fortune, ce qui explique sa domiciliation en Belgique fiscalement moins douloureuse.
Gouranton à qui on a soufflé le nom de Gounon croit enfin tenir le champion des petits porteurs. Structuré, habile et champion de la com’ ( aidé il est vrai par le cabinet Calzaroni), cet X-Ponts s’empare de toutes les commandes pour négocier avec les banques en court-circuitant le conseil. Gouranton se mord les doigts. Gounon roule-t-il pour les créanciers ?
Reflet des tensions internes, la violence des échanges monte d’un cran sur internet et "Martine" flingue à tout va. Elle dézingue Berlioz - d’ailleurs fâché avec Gouranton – qu’elle traite, entre autre, de « petit avocat français »- dont les démonstrations ravageuses menacent la com’ de Gounon.
Les attaques de "Martine" horripilent Géniteau et Gouranton qui, un jour, au siège d’Eurotunnel à Calais sèment la panique en ouvrant toutes les portes : "Je cherche si Martine se cache dans cette pièce", lit-on dans Le Scandale Eurotunel (Marc Fressoz, Flammarion).
Finalement après une plainte déposée par les deux hommes pour diffamation et injure publique, la justice a permis de lever le voile."Martine" et tous ses avatars – elle utilisait aussi le pseudo de Paddington ou de Pourtutu - c’est Mireille Gounon, 55 ans professeur de droit et d’économie. Mireille est l’épouse de Jacques !
Les experts judiciaires ont remonté le fil de l’adresse IP et sont arrivés aux domiciles du couple à Bruxelles et à Paris. "Martine" Gounon a été condamnée à payer 5500 euros par le tribunal de grande instance de Paris en avril comme vient de le signaler le magazine Capital.
Depuis la restructuration de la dette, Gounon promet qu’Eurotunnel a évolué et rompu avec le mauvais passé. C’est vrai, avant on soupçonnait les patrons d’Eurotunnel d’être des manipulateurs et des menteurs. La nouveauté, c’est qu’aujourd’hui on en a la preuve !
Lire ou relire sur Bakchich :
[1] rachat d’une société par effet de levier sur l’endettement bancaire
Quand on clique dessus ça fait une erreur 404, il faut donc lire : http://www.boursica.com/
Et pour arriver direct sur le forum Eurotunnel c’est : http://www.boursica.com/bourse-action-FR0000125379/eurotunnel-units-ex-plc-sa.php
Voilà. Pour info. Bravo à Bakchich pour cet excellent article que je cite assez souvent.
Où graviterait toutes les hautes sphères de la finance française ?
J’en doute sérieusement, déjà que 80% du CAC est possédé par des non-Français…
Mais il est vrai que c’est un nid de désinformation pour les particuliers.
Dans tous les cas très bon article