Malgré son « sauvetage », Eurotunnel n’en a pas fini avec les curieuses opérations. Encore une fois, la boîte fait les poches de ses actionnaires, à qui elle tente de faire croire que, grâce au talent de son PDG, l’action a flambé.
« Le tunnel sous la Manche a toujours été dirigé par des magiciens, mais Jacques Gounon, son actuel PDG, les surclasse tous. » C’est un gestionnaire de fonds qui le disait il y a plusieurs mois. Et son analyse se révèle toujours plus vraie.
Il suffit de regarder la valeur d’Eurotunnel en bourse. Magnifique ! Même si elle a tendance à fléchir un peu, l’action vaut tout de même pas loin de 10 euros. Contre environ 45 centimes à l’été 2007 juste avant l’application du « plan de sauvetage » du groupe.
Cette usine à gaz a surtout consisté à sauver la mise aux créanciers, qui réclamaient 9 milliards d’euros, plutôt qu’aux petits porteurs majoritaires. Difficile d’en comprendre toutes les chausse-trappes. Peu importe, entretenu par la presse financière subjuguée par cet X Pont de Gounon, le miracle est là. La boîte a flambé en bourse.
En fait un grossier tour de passe-passe. Car l’intervention de Gounon a aussi consisté à regrouper les actions pour faire mousser mécaniquement le cours. Et sortir Eurotunnel des « penny stocks », ces boîtes pourries qui ne valent que quelques centimes en bourse pour le maquiller en Rolls. 40 anciens titres rassemblés ont ainsi donné droit à 1 nouveau titre.
Conclusion, pour connaître le véritable talent de redresseur du patron d’Eurotunnel, il faut diviser la valeur actuelle par 40. Résultat : 10 divisé par 40 = le titre vaut en réalité dans les 25 centimes d’euros. Un succès grandiose !
Ce n’est pas fini. L’action devrait encore se casser la figure grâce au talent d’accordéoniste du patron d’Eurotunnel. Après avoir contracté le nombre de titres, il met la dernière main, avec ses conseils financiers, à l’opération inverse : la dilution du nombre d’actions, via une augmentation de capital ! Promue par un vaste plan média avec spot radio, l’opération de retape s’arrête officiellement ce vendredi. Engagez-vous, rengagez-vous ! La manip a consisté à inciter une nouvelle fois les petits porteurs – Gounon leur promet un premier dividende dans un an – à acheter des actions nouvelles. Argument massue : achevez le sauvetage financier et augmentez votre poids dans le capital, sachant que vous êtes devenus ultra minoritaires.
L’argent que ces bonnes âmes doivent sortir de leur poche – 800 millions d’euros attendus – ira directement dans celle de certains créanciers ! Il y a un an, plusieurs ténors de la finance mondiale ont en effet prêté de l’argent à Eurotunnel en achetant des ORA, (obligations remboursables en action), grassement rémunérés. Ce sont elles qu’Eurotunnel rembourse aujourd’hui. Le plus cocasse c’est que les actionnaires savent très bien que ce n’est pas fini. Gounon a été franc, en leur annonçant il y a plusieurs mois qu’une autre augmentation de capital suivrait. « C’est le cercle vertueux », expliquait le rusé PDG. Pour les créanciers ou pour les gogos ?
rappel des réunions de CA :
Chaque année, des petits actionnaires d’Eurotunnel ruinés organisent un « dîner de cons ». C’est l’occasion de couronner celui qui a perdu le plus d’argent dans l’aventure. Une tout autre réception s’est tenue mercredi 27 juin dans les salons de l’hôtel George V, à Paris. Une trentaine de VIP étaient conviés par la Deutsche Bank pour fêter le sauvetage de son client Eurotunnel qui, après plusieurs années de négociations, est parvenu à s’entendre avec ses créanciers. Ce soir-là, la Deutsche Bank est décidée à fêter dignement l’événement avec le président d’Eurotunnel, Jacques Gounon, ses banquiers, ses avocats conseils ainsi que les juges chargés de la sauvegarde de l’entreprise. Le chef, Philippe Legendre, meilleur ouvrier de France, a concocté pour la circonstance un menu accompagné de quelques bons bordeaux… Les agapes démarrent en douceur avec un laville haut-brion 1998 et un la mission haut-brion 1990 à environ 300 euros la bouteille, selon les estimations d’un grand sommelier. Puis c’est un château haut-brion (premier grand cru classé) de 1989 à 1 000 euros la bouteille que dégustent les invités, pour finir en beauté sur un sauternes Château d’Yquem, autre premier grand cru classé, de 1950 cette fois, dont le prix « est très difficile à évaluer tant il est rare » confirme le spécialiste qui penche toutefois pour 2000 euros la bouteille.