C’était le grand chantier du président Chirac, le fameux plan cancer. Etrillé par la Cour des comptes pour gaspillage, Cancer info service coûte 812 euros de l’heure au contribuable, le plus gros flop du plan ! Promesses non tenues. Morceaux choisis.
800 euros l’heure d’appel téléphonique pour écouter les malades du cancer. C’est la « perle des perles » contenue dans le rapport de la Cour des comptes sur le plan cancer 2003-2007, rendu public le 12 juin. 800 euros à charge du contribuable, même la Cour, qui a l’habitude d’en voir des vertes, s’en est étouffée. En 2003 est créé « Cancer info service », a confié la Ligue contre le cancer, la ligne téléphonique va engloutir 10 millions d’euros sur trois ans en traitant en tout et pour tout 69 000 appels, « le coût du traitement de l’heure de communication avait atteint le niveau extravagant de 812 euros en 2004 », épingle la Cour qui s’offusque d’une telle « gestion dispendieuse ».
Des perles comme celle-là, le rapport de la Cour en regorge dans ce qui est le bilan le plus critique jamais publié du « grand chantier présidentiel » de l’ex, Jacques Chirac. Bien sûr tout n’est pas à jeter dans ce plan cancer, mais parfois les gaspillages sont torrentiels, tout comme le refus de s’attaquer à des problèmes de santé publique déjà mille fois épinglés. Plus grave encore, certains dysfonctionnements entraînent une surmortalité qui pourrait être évitée. Et là ce n’est plus drôle du tout. La Cour des comptes épingle les fameux 70 objectifs de ce plan, dont certains étaient totalement délirants et ne relevaient que de l’effet d’annonce. Les magistrats taillent en pièces la politique mise en œuvre par la France dans trois domaines particuliers : la lutte contre les cancers professionnels, contre l’alcool, et comment les Français se sont fait « bourrer le mou » sur l’annonce sulfureuse des dépistages généralisés des cancers.
Les cancers professionnels ? Le plan cancer est tout bonnement passé à côté, et de quelle façon : l’objectif de systématiser la surveillance épidémiologique des personnes exposées à des risques cancérigènes ? « Non atteint ». La Cour dénonce le fait que la France n’a toujours pas de système de surveillance des cancers professionnels alors que « 2 à 5 millions de salariés seraient exposés (à des agents cancérigènes) en France ». Manque de chance, cela tombe encore sur les ouvriers qui ont un « taux de mortalité par cancer 10 fois plus élevé » que le reste de la population. La Cour relève une carence de l’exploitation des données « dont la gravité doit être soulignée ». Pareille solennité témoigne de l’ampleur du problème. Mais le pire reste à venir : « La diminution des plafonds d’exposition à la majorité des substances les plus dangereuses est intervenue 6 ans après la directive (loi) européenne de 2000 ». Pendant ces six années les ouvriers ont donc été exposés à un sur-risque de cancer professionnel. Et personne n’a donné l’alerte. Une telle négligence pourrait finir devant les tribunaux. La Cour ne s’y trompe pas et écrit un peu plus loin, noir sur blanc « l’État n’a pas tiré toutes les leçons du précédent en matière d’amiante ».
Sur la prévention des cancers imputables à l’alcool – et ce n’est pas rien : 40 000 morts par an, deuxième cause de mortalité derrière le tabac – la Cour souligne les « carences préoccupantes » et taille en pièces l’objectif ridicule fixé par le plan : diminution de 20% en 5 ans du nombre de consommateurs alcoolo-dépendants ou excessifs, et pour cause : cet objectif ne peut pas être suivi puisque les dernières statistiques remontent à… 1996 ! Le reste de la politique anti-alcool est à l’avenant, ce qui arrange bien les alcooliers qui vont pouvoir poursuivre tranquillement leur lobbying : « peu de mesures face à l’alcoolisme » et des mesures « très partiellement mises en œuvre ». Un bon mot pour finir : la prévention alcool ? « L’échec est net ». Échec et tchin !
Impossible d’égrener toutes les perles de ce rapport, mais une dernière pour la route : le dépistage des cancers. Entre ce qu’avait promis et claironné le plan cancer et ce qui s’est réellement fait, il y a un fossé. Pour le dépistage du cancer du sein, on est en gros progrès. Mais la France a un système unique au monde ou presque : un double système de dépistage organisé (le plus efficace) et individuel (en médecine libérale). Or devinez quoi ? « Aucune étude n’a réexaminé cette duplication ». Le plan avait fanfaronné un objectif de 80% des femmes dépistées. On atteint péniblement 43% (pour le taux national de participation au dépistage organisé) et les « inégalités demeurent considérables » : les taux de dépistage et de mortalité du cancer du sein « varient encore du simple au double entre départements ». La qualité de réalisation des mammographies ? Elle « ne paraît pas toujours suffisamment vérifiée » ; pas étonnant puisqu’une partie des « mammographes » ne sont plus aux normes ; la dernière enquête, réalisée en 2005, a trouvé des matériels périmés encore en service. Premières au top 50, les deux expériences de « mammobiles » « n’ont pas apporté d’éléments probants ». Femmes, si vous croisez un « mammobus » passez votre chemin.
Tout au long de ce rapport, l’Institut national du cancer (INCa) se fait tailler avec constance un sacré costard : il n’a en particulier pas alerté sur l’absence de mesures sur les cancers professionnels alors qu’il aurait dû le faire. Et puis l’INCa n’est pas très doué en informatique : à partir de 2005 l’institut lance un projet de système national d’information du dépistage organisé des cancers, bien dénommé « SIDO ». Patatras, parallèlement, le ministère de la santé a développé un progiciel pour faire la même chose. Ça c’est de l’économie d’échelle ! « L’INCa a finalement suspendu son projet après avoir dépensé le quart du million d’euros prévu » dénonce la Cour, furibarde. 250 000 euros partis avec l’eau du bain ! Alors bien entendu il s’agit de l’enquête de la Cour des comptes, en annexe du rapport pas moins de quatre ministres et plusieurs autres grandes huiles répondent que tout cela n’a pas toujours été bien interprété – à croire qu’ils ne comprennent rien à rien, ces magistrats enquêteurs, faudrait leur parler en braille ? - et que, depuis, nos autorités ont pris toutes les mesures nécessaires… Mais bon sang mais c’est bien sûr !
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