Dans la rivalité millénaire et jamais éteinte qui oppose la France et la Grande-Bretagne, c’est cette dernière qui aujourd’hui l’emporte et… Bertrand Delanoë en fait les frais. Ce raccourci à l’emporte-pièce appelle quelques explications.
Les Britanniques sont un peuple de marchands, les Français de bavards. Les premiers font des affaires et encore des affaires ; les seconds ne cessent de s’interroger sur la nature de leur gouvernement. L’abondance des ouvrages sur le sujet en atteste, et, pas moins, l’actualité immédiate. Malheureusement et comme pour perpétuer la querelle, un même mot désigne les deux comportements : libéral ou, en anglais phonétique, librrôl. Selon l’acception française, est libéral celui qui se soucie de la liberté des hommes. Selon l’acception britannique, est librrôl celui qui ne tolère aucune entrave (et surtout pas de l’État) à la marche des affaires. Money, money, money.
Signalons, cependant, que ce choix économique, théorisé par l’Ecossais Adam Smith (1723-1790), est né d’une parole française, celle de François Quesnay (1694-1774), médecin de Louis XV, mort la même année que son maître, économiste à ses heures. On lui impute la paternité du mot qui symbolise the liberalism (ze librrôlisem) : « Laissez faire, laissez passer ». D’autres traduiront ce principe par un aphorisme plus brutal : « Le renard libre dans le poulailler libre. » On voit ce que cela peut provoquer sur une planète tout entière vouée à la mondialisation : le triomphe du seul rapport de forces.
C’est d’être partisan d’un système aussi cruel que Bertrand Delanoë se voit accusé par des adversaires mal inspirés ou tout simplement incultes ; au premier rang Ségolène Royal, que rien n’arrête et surtout pas le respect du vocabulaire, ni des faits.
Or, ce qu’on lit à ce sujet dans le livre d’entretiens du maire de Paris, De l’audace (Robert Laffont), fait aisément justice d’une affirmation aussi sotte. Le libéralisme, dit-il, « est une doctrine d’affranchissement de l’homme née dans l’Europe des Lumières, […] une idéologie de la liberté, qui a permis l’accomplissement de grandes conquêtes politiques et sociales. » Et encore : « Le libéralisme est donc d’abord une philosophie politique et j’y adhère. Ce sont les conservateurs qui l’ont dévoyée au service d’une idéologie du laisser faire économique et de la perpétuation des rentes et des privilèges dont ils bénéficient déjà. »
En prétendant contre toute évidence que Bertrand Delanoë se fait l’héritier d’Adam Smith et de la sauvagerie d’un commerce sans règles ni contrôles, Ségolène Royal prend les Français pour des imbéciles. D’autant qu’on ne fera pas l’injure à cette ancienne élève de l’ENA (quoique pas très bien « sortie ») de croire qu’elle ignore l’ambivalence du mot libéral.
Il ne s’agit pas ici de soutenir l’un plutôt que l’autre, de plus dépourvu du moindre titre pour s’y aventurer, mais d’apporter un élément à la nécessaire clarté du débat ; histoire aussi de rappeler que rien n’est plus politique que le vocabulaire… ou le mensonge.
Bonjour. J’arrive un peu tard mais le commentaire de Phoskito est tellement théorique qu’il en oublie l’essentiel, à savoir : toute sociétés est changeante dans ses formes matérielles et morales.
Si il y a 50 ans les lois dans les pays occidentaux étaient faites par rapport à l’héritage chrétien c’est de moins en moins le cas et l’on s’aperçoit que les lois sont injustes dès le départ et favorisent d’emblée tel ou tel groupe d’affaire (ne serait-ce que par les choix de développement du pays).
Donc c’est le contraire du libéralisme qui n’existe plus ayant été remplacé par le capitalisme sauvage qui n’a rien à voir.
On ne peut croire que dans une société corrompu par l’argent et la violence on puisse avoir des législateurs intelligents, indépendants et désintéressés et des gens idem qui votent de bonnes lois ou un exécutif qui les fasse appliquer.
La situation du monde est clair, de moins en moins de lois protègent l’individu sur toutes les facettes de sa vie et quand on croira qu’on a la liberté parce que le monde semble se calmer, c’est justement là qu’il n’y aura plus de démocratie, juste un groupe de décideurs mondiaux possédant tous les moyens de productions, de ventes, de circulation, de communication.
Cher Ph.B.,
votre article est, comment dire… complètement à côté de la plaque. J’ai bien essayé de trouver une expression plus polie pour dire la même chose, mais aucune ne m’a paru appropriée. Vous avez faux sur à peu près toutes vos affirmations :
1. Pas de différence fondamentale entre libéralisme "à l’anglaise" et libéralisme "à la française". Lisez Say, Bastiat, ou leurs collègues de l’époque, ce n’est en rien moins plus étatiste ou moins libre-échangiste que Smith ou Ricardo.
2. Le rapport entre Quesnay et Smith est plutôt distant. Le premier était le plus éminent des premiers "physiocrates", une école de pensée qui attribuait un rôle prépondérant à l’agriculture, considérée comme la seule véritable activité productive. Le système de pensée de Smith est considérablement plus complexe et fait une place importante au rôle de l’Etat, auquel incombe la responsabilité de la production de divers biens publics.
3. Croyez-vous sincèrement que quiconque soit assez stupide pour prôner "un renard libre dans un poulailler libre" comme un modèle de régime politique ? Prétendre cela est aussi idiot qu’affirmer "la démocratie, c’est la chienlit". La liberté économique, c’est comme toute liberté, elle s’inscrit dans un cadre juridique donné. Je suis libre de voter, ce n’est pas pour autant que j’ai le droit de griller les feux rouges. De la même manière, la libre circulation de mes capitaux n’est en rien un corollaire d’un quelconque droit à vendre des marchandises avariées / maintenir des travailleurs en esclavage / commercer avec des criminels / acheter le droit d’autrui à la vie… Le lien libéralisme = absence de droit est un sophisme absolu, un signe ostensible de malhonnêteté intellectuelle.
4. La vraie question n’est pas de savoir si quiconque est contre le libéralisme politique, à celui-là je prédirais très peu de succès électoraux. Le débat porte bel et bien sur le libéralisme économique. Or prétendre que les droits économiques ne sont pas des droits politiques ne tient pas la route. Permettre à X de choisir la source de revenu S, en sachant que ce droit empiette sur un autre droit de Y, c’est la problématique de fond la plus classique qui soit : comment arbitrer entre les droits et devoirs des uns et des autres dans la société. Ce n’est pas fondamentalement différent des autres questionnements sur la liberté. Il n’y a pas la liberté économique d’un côté, la liberté politique de l’autre. D’ailleurs, il n’y a pas l’économie d’un côté, la politique de l’autre, ne serait-ce que parce que "l’économie" désigne en réalité "l’économie politique", c’est à dire l’organisation de l’usage des ressources dans la Cité.
5. Le message de base, selon lequel il faut éviter de créer des lois qui restreignent des libertés, si les bénéfices pour la société ne sont pas suffisants pour justifier cette perte de liberté, s’applique à tous les secteurs du droit : la sécurité, l’environnement, la liberté de parole, la religion, etc. En matière économique comme ailleurs, un libéral est tout à fait disposé à admettre des restrictions des libertés si elles représentent globalement un bien pour la société. En restreignant la vitesse autorisée sur les routes, le législateur protège la vie des bons conducteurs. En protégeant les droits des consommateurs, le législateur permet l’existence de marchés sains, permettant au commerce de s’épanouir. Personne ne souhaite un marché dans lequel seuls les escrocs pourraient survivre.
6. Personne, d’ailleurs, ne croit que les marchés sont parfaits. Les libéraux pensent simplement que celui qui affirme que liberté des uns doit être restreinte, parce qu’elle empiète sur la liberté des autres, doit apporter la preuve de ce qu’il avance. C’est-à-dire que la liberté doit être la norme et l’interdiction, l’exception. Lorsque les marchés sont défaillants, il n’y a qu’à le constater et à tenter d’y remédier.
7. Remédier aux défaillances du marché, cependant, ne signifie pas forcément que l’unique remède concevable soit l’action de l’Etat. L’Etat ayant lui-même ses propres défaillances, le libéralisme commande de déterminer quel est le moindre mal, c’est-à-dire quelle est la structure sociale qui nuit le moins aux libertés des uns et des autres.
8. Il n’y a pas de consensus entre les multiples familles libérales sur la répartition optimale des libertés. L’égalité en droit est une évidence, faute de quoi le droit n’a pas de légitimité démocratique. Mais l’égalité en fait n’est pas stable dans une société démocratique, car les destinées de tous les hommes ne sont pas identiques et forcer l’égalité obligerait à spolier constamment les uns au bénéfice des autres, détruisant toute perspective d’amélioration du sort individuel. Comme il n’y a pas de consensus, on peut donc penser que certains libéraux seront maximalistes en matière de répartition égalitariste, quand d’autres seront minimalistes. Il pourra donc exister des "libéraux socialistes" comme des "libéraux anarcho-capitalistes".
9. Ségolène Royal n’a donc pas totalement tort de voir dans le livre de M. Delanoë une manifestation d’intérêt pour le libéralisme économique. Simplement, les conséquences de cette manifestion d’intérêt sont loin d’être aussi révolutionnaires que ce que l’on en dit. En fait, le libéralisme prôné par M. Delanoë est tout simplement une conséquence logique de son insistance sur la bonne gestion de l’argent public. L’excès de réglementation nuit à la performance, qui s’opposerait à cela ?
10. Donc oui, Mme Royal se trompe, mais pas parce qu’elle ignore une ambivalence qui n’existe pas. Elle se trompe parce que, ancienne élève de l’ENA, elle prétend glorifier une sempiternelle vision étatiste de la société alors même qu’elle professait il y a peu la vision opposée. Elle se trompe aussi parce que le libéralisme, dans ses aspects économiques comme dans ses aspects non-économiques (mais existe-t-il un aspect de la société qui n’ait pas son économie propre ?), est le seul avenir cohérent possible pour la gauche. Qui peut s’opposer aux libertés individuelles, si ce n’est au nom de la tradition ? L’Homme naît libre, c’est l’Etat qui le prive de certaines libertés, parfois parce que c’est nécessaire, parfois parce que l’Etat est au service de spoliateurs immoraux (qu’on les appelle Grand Kapital, apparatchiks, oligarchie, despote, etc., peu importe). La réalisation de l’Homme, sauf morale transcendante (religieuse, traditionnelle…) qui dicterait le contraire, c’est donc le retour à cette liberté. La gauche n’étant pas, par construction, censée défendre le conservatisme (la tradition, la religion), son seul objectif légitime est bien la liberté.
11. Ces idées ne sont pas nouvelles. La gauche historique était libérale. Le marxisme, avec sa mystique quasi-religieuse, l’a momentanément détournée de son humanisme libéral. Ce n’est que très normalement que le libéralisme peut maintenant reprendre sa place dans les idées politiques françaises.
Alors voilà, mes excuses pour mon ton un peu sec. Mais les arguments anti-libéraux à l’emporte-pièce, il serait peut-être temps de les dépasser. A moins que vous ne préfériez vous complaire dans la philosophie politique de bac à sable. Mais j’apprécie trop Bakchich pour croire que vous céderiez définitivement à cette facilité. Allez, un petit effort… Cordialement,
Phoskito.
Je n’ai pas lu l’ouvrage de Delanoë. Je crains que ce Monsieur n’ait justement eu l’audace d’écrire ce livre en ne précisant pas assez son dictionnaire. En France, le mot libéralisme a un sens, qui ne correspond pas à celui de son faux ami anglo-saxon. L’utiliser dans l’hexagone sans précaution est certainement un grand risque, à mon avis inutile : autant chercher un terme à peu près équivalent, mais conforme sémantiquement au mot qu’un Conservative utilisera comme une injure.
Rappelons que toute liberté en France est nécessairement appuyée à une égalité de tous, qui la précède et la cautionne. Outre-Manche et outre-Atlantique on n’a pas ce genre de précaution, ce qui fait justement toute la différence. Monsieur Delanoë a-t-il pris la peine de le rappeler ? Sans doute pas assez clairement, puisqu’il a été attaqué de cette manière.
« Je n’ai pas lu l’ouvrage de Delanoë. Je crains que ce Monsieur n’ait justement eu l’audace d’écrire ce livre en ne précisant pas assez son dictionnaire. » « Monsieur Delanoë a-t-il pris la peine de le rappeler ? Sans doute pas assez clairement, puisqu’il a été attaqué de cette manière. » Etc., etc.
J’ai pris la peine de lire le bouquin de Delanoë, qui dissipe toute ambiguïté sur ce point (et sur bien d’autres). Votre paresse intellectuelle (vous ne l’avez pas lu), dont apparemment vous tirez gloire, vous autorise peut-être (quoique) à faire étalage de votre suffisance. Mais elle ne vous autorise pas, que je sache, à intenter de façon purement gratuite des procès d’intention.
Avant de nous donner à méditer votre précieuse opinion, vous auriez pu au moins faire l’effort de lire les extraits du livre qu’on peut trouver un peu partout sur la Toile, par exemple sur desourcesure.com :
http://desourcesure.com/politiqueaffaires/2008/05/_delano_sort_son_bouquinprogra.php