L’ancien conseiller de Michèle Alliot-Marie, déjà mis en cause pour les fuites sur le dossier Bettencourt au "Monde", a été placé en garde à vue dans le cadre de l’affaire Visionex. Hautement politique.
David Sénat, l’ancien conseiller pénal de Michèle Alliot-Marie, mis en cause après les fuites publiées dans la presse sur le dossier Woerth-Bettencourt, a été placé en garde à vue mardi matin, a révélé Europe-1.
Interrogé par la Brigade de répression du banditisme, David Sénat est soupçonné d’être intervenu dans le traitement du dossier de la société Visionex en autorisant l’installation de bornes internet permettant des paris clandestins.
Le patron de Visionex a déjà été mis en examen dans cette affaire éminemment politique. Preuve en est cette lettre de soutien à Visionex datée de juillet 2008 et lue par le président du tribunal de Carcassonne lors du procès de trois patrons de bar de l’Aude pour détention illégale de machines à sous.
Pas moins de trois noms de ministres y figuraient : paraphé de Michèle Alliot-Marie, alors ministre de l’Intérieur, le courrier était adressé à Rachida Dati, alors ministre de la Justice, et évoquait enfin Albin Chalandon : l’ancien garde des Sceaux, ainsi que son fils Fabien, tous les deux convaincus que la PME Visionex est victime d’une manipulation.
Fabien Chalandon a lui aussi été mis en examen, soupçonné d’être intervenu auprès de MAM pour favoriser l’installation des bornes internet dans des débits de boisson. Et c’est David Sénat qui s’occupait du cas Visionex au cabinet de MAM.
Bakchich Hebdo écrivait dans son numéro du 18 septembre que Sarkozy avait "sorti l’artillerie lourde" contre la "racaille chiraquienne" :
Pourquoi user d’une massue pour écraser une mouche ? En quoi les services de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) de Bernard Squarcini, dit « le Squale », avaient-ils à intervenir, à la demande du patron de la police, Frédéric Péchenard, dans une banale affaire de fuite judiciaire ? La parution, dans le Monde du 18-19 juillet, de l’interrogatoire de Patrice de Maistre, le gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt, valait-elle ce qui apparaît aujourd’hui comme un affolement inutile ?
À première vue, le collaborateur de Michèle Alliot- Marie soupçonné de renseigner le Monde, David Sénat, a peut-être fait preuve de déloyauté, mais rien de plus. Et rien, en tout cas, qui puisse justifier la saisie par les services français des factures de téléphone du haut fonctionnaire « au nom de la sécurité nationale ». Le manquement à l’obligation de réserve d’un fonctionnaire ne met pas en péril la République. Encore que… Cette affaire a révélé qu’il y a bien une guerre de réseaux au sommet de l’État.
Si ces fuites ont immédiatement inquiété le pouvoir, c’est au départ pour une raison simple. Pas question que des indiscrétions non contrôlées viennent embarrasser Philippe Courroye, chargé d’évacuer en douceur le soldat Woerth. Il fallait donc retrouver les coupables. À tout prix.
Au coeur de l’été, les soupçons de la DCRI se sont immédiatement portés sur le procureur général de Versailles, Philippe Ingall- Montagnier. En effet, comme l’a raconté Libération, ce dernier avait « exigé » du juge Courroye – dont le fief de Nanterre ressort de Versailles – la copie du dossier. Et c’est le même qui a transmis le PV de De Maistre au cabinet de la ministre de la Justice.
Philippe Ingall-Montagnier, dit « Pim », connaît son monde judiciaire. Ce dernier est un vieux routier des cabinets ministériels de la droite chiraquienne, de Jacques Toubon à Dominique Perben. Cet organiste a toujours allié des choix politiques musclés et une certaine souplesse dans l’exécution. Pim ne peut rien refuser à sa ministre. De là à penser que la garde des Sceaux a couvert sinon encouragé la fuite… Des soupçons renforcés lorsque Péchenard, le patron de la police, et Squarcini, le boss de la DCRI, découvrent l’identité du fautif : David Sénat. Nommé auprès de Michèle Alliot-Marie en 2002, immédiatement après la réélection de Jacques Chirac, Sénat est resté, depuis, l’un des plus proches collaborateurs de MAM. Comment imaginer, là encore, que ce fidèle de la ministre ait pu agir seul ? D’où le terrible soupçon qu’Alliot-Marie tenterait de déstabiliser, par des fuites organisées, l’enquête de Philippe Courroye.
Chirac président, les sarkozystes ont toujours dénoncé l’existence d’un cabinet noir à l’Élysée. Et l’on ne peut guère leur donner tort. Les grands flics qui servaient l’ancien chef de l’État – Philippe Massoni et Yves Bertrand en tête – ont organisé dans le monde de la police, de la justice – et de la presse – de redoutables réseaux pour écarter Nicolas Sarkozy du sacre suprême. L’affaire Clearstream a été l’aboutissement – pathétique – de ces stratégies. Arrivés au pouvoir, Sarkozy et les siens n’auront de cesse d’éradiquer la mauvaise graine chiraquienne. Longtemps soupçonnée de double jeu au moment où elle briguait la présidence de l’UMP, MAM est finalement rentrée en grâce après 2007.
Or que découvre l’Élysée à l’occasion de cette nouvelle affaire ? Eh bien que le principal coupable, David Sénat, a géré le dossier Clearstream auprès de MAM à la pire période. Et que, depuis, le même est resté très proche de Jean-François Gayraud, l’âme damnée du patron de la DST (ex- DCRI) sous Chirac. Parfois menaçant, Gayraud a joué un rôle plus que trouble dans l’affaire Clearstream, en rédigeant des notes mensongères. C’est lui qui avait la haute main sur la cellule de la DST qui surveillait « les personnalités jugées sensibles ». Normal pour un expert qui a écrit un ouvrage sur « la délation ».
En 2001 et 2006, David Sénat et Jean-François Gayraud ont publié deux livres ensemble. « Ils s’entendent parfaitement, c’est un peu La Boétie et Montaigne », explique un homme du renseignement. Gayraud est aujourd’hui un obscur conseiller de l’Institut national des hautes études de sécurité. Quant à Sénat, il s’occupe d’un projet de cour d’appel à Cayenne. À quand le recours au bagne ?