Outrage et Film Socialisme débarquent sur la Croisette. Takeshi Kitano se fait salement allumer et Jean-Luc Godard s’en tire encore avec les honneurs. De quoi énerver notre critique Marc Godin.
« Le réalisateur nippon signe le pire film qu’il ait été donné de voir à Cannes depuis le début du festival. Une histoire de yakusa incompréhensible dont la violence gratuite est insupportable. »
C’est plus fort que moi. Quand je lis une très mauvais critique de film, quand on m’assure que le film est obscène, malsain, violent, ou ici d’une « violence gratuite » (c’est quoi ? le contraire de la violence payante ?), je n’ai qu’une seule envie, foncer dans le cinéma le plus proche. Le critique de La Tribune, et bien d’autres confrères, a donc défoncé "Outrage", grand retour de Takeshi Kitano au film de yakuza.
Mais si Kitano remet le costume Yamamoto et fait à nouveau parler la poudre, ce n’est pas pour décalquer les recettes de "Sonatine", "Violent Cop" ou "Hana-Bi". Le Japon a changé, Kitano aussi. Avec de sublimes idées de mise en scène et une nouvelle bande d’acteurs, Kitano brode un film sinistre, couleur acier, où tout le monde flingue tout le monde, un jeu de massacre gore, burlesque et cruel où l’on se coupe en petits morceaux, on s’arrache les dents, on se coupe la langue et ou les baguettes ne servent pas qu’à manger des sushis. Itchy & Scratchy au pays du soleil sanglant ?
Pour répondre à cette histoire de violence, je laisse la parole à Kitano : « Pourquoi pensez-vous qu’Outrage scandalise autant les gens ? Parce que je ne glorifie pas la violence. Je la montre telle qu’elle est. Je voulais que le public ressente une partie de la douleur physique des personnages. C’est pour cela que j’ai joué sur des peurs que nous avons tous, notamment lors d’une scène chez un dentiste. Mon film est fait pour secouer. » On en reparle bien sûr lors de la sortie française…
En mode répétition, Takeshi Kitano donne à voir l’absurdité d’un monde qui tourne en rond, hanté par des psychopathes imbéciles et racistes, accros à l’argent et à des rituels d’un autre âge. A la ville, Kitano est très pote avec certains chefs yakuzas. Ici, il flingue autant les yakuzas que le film de yakuza. Définitif !
L’autre événement du lundi 17 mai, c’était la présentation de "Film Socialisme" sur la Croisette, mais aussi en VOD sur le net. 1h 37 de n’importe quoi, un mix d’images d’actu (Adolf Hitler, la Palestine), d’extraits de films (Potemkine, Chaplin, La Bataille de Marathon…), de mots sur s’affichent en grand sur l’écran (DES CHOSES COMME ÇA, JUIF, EGYPTE…), de musiques, de sons.
Godard sample l’histoire de l’Europe, de la tragédie grecque à la Seconde Guerre mondiale. Mais pour dire quoi ? Rien ou pas grand-chose. Pour meubler, il mélange deux embryons de fiction : des retraités en croisière sur un paquebot (une belle métaphore de l’Europe, diront quelques illuminés), et la famille Martin qui tient une station-service et dont les enfants se présentent à une élection cantonale ! Il y a aussi les fantômes de Patti Smith et de Badiou (5 secondes de présence à l’écran pour chacun) et des personnages qui déclament d’une voix atone des choses essentielles comme « Faut du courage pour penser », « Employez le verbe avoir, tout ira mieux en France », « Si vous vous moquez de Balzac, je vous tue ».
La critique dans son ensemble n’ose pas déboulonner la statue JLG et quelques dingues se lancent même dans des papiers dithyrambiques, au nom de la sacro-sainte théorie de l’Auteur. Allez Jean-Luc, un suppo et au dodo.
Conclusion, foncez voir dès demain le film d’Abbas Kiarostami, "Copie conforme".
Cannes 2010 sur Bakchich.info :
Bonus Pearltrees : cliquez sur les perles pour lire les articles
Cher Sandor K,
La critique arrive. Allez voir Film Socialisme et je serai ravi d’en parler avec vous.
Cordialement.
Pourquoi alterner des images très soigneusement réalisées avec des sales images de caméras de surveillance ? N’y aurait-il pas un rapport entre de jeunes adolescents qui se présentent aux élections cantonales, des personnes âgées sur une croisière en Méditerranée, Les illusions perdues de Balzac et les problèmes grecques actuels ? Connaissez-vous les films de Pollet ? Pourquoi aujourd’hui vouloir continuer à favoriser une logique de la sensation contre une dramaturgie linéaire classique ?
Monsieur l’exemplaire critique de cinéma, vous êtes-vous posés ce genre de question ?
Il est très simple de se dire rebelle en aimant Kitano (pour lequel d’ailleurs vous n’avez pas compris il semble le moindre réel questionnement esthétique), mais c’est plus difficile lorsque l’on a en face de soi un cinéaste qui systématiquement détruit vont repères bourgeois de représentations artistiques classique.
Excusez mon hostilité, et excusez également ma volonté de critiquer une œuvre avec un minimum de sérieux.