Nicolas Sarkozy vient de vivre un conte de fées. Réunir deux jours durant plus de quarante Chefs d’État et de gouvernement, personnages très occupés s’il en fut, a transformé Paris en une petite et brève annexe des Nations Unies.
Faire, pour ainsi dire, s’embrasser Ehoud Olmert et Mahmoud Abbas, n’est-ce pas mieux que les accords de Camp David (17 septembre 1978) entre Anouar El Sadate et Menahem Begin sous l’œil mouillé de Jimmy Carter, plus brillant que les accords d’Oslo, signés en fait à Washington sous l’égide de Bill Clinton le 13 septembre 1993 entre Israël et les Palestiniens ? « Jamais nous n’avons été si près d’un accord » s’écrie, extatique, Ehoud Olmert. Miss Rice ne va pas être contente que Nicolas Sarkozy se régale des marrons qu’elle a tirés du feu. Tout ça après un an de pouvoir seulement.
Autrement dit, les États-Unis, depuis tant et tant d’années, se seraient échinés à vouloir ramener la paix dans cette région du monde et il suffirait d’un coup de baguette magique sarkozienne pour que cette paix paraisse et paraisse acquise. Un peu trop beau pour être vraisemblable. A moins que Paris ne soit devenu le Lourdes de la diplomatie.
Israël va donc rendre le Plateau du Golan, se retirer de l’ensemble des Territoires Occupés, faire entendre raison à des colons toujours plus entreprenants, mettre fin au contrôle policier de quiconque ne porte pas kipa ? Ce n’est plus de la diplomatie, c’est du miracle ; Nicolas Sarkozy n’est plus un Président de la République, c’est un thaumaturge.
Le retour de la paix autour de Jérusalem en aurait pour un peu éclipsé le grand projet de l’UPM (Union Pour la Méditerranée). Que suppose cette titanesque entreprise ? La bonne entente, à tout le moins, de pays qui se haïssent ou se jalousent, peu important que ceux du Sud croient en un même dieu, plutôt inopérant dans la conduite des affaires terrestres.
Charles De Gaulle qui, en fait de diplomatie, n’était pas le moins averti, en tenait pour ce principe : « Un grand pays n’a pas d’amis, il n’a que des intérêts ». Ce n’était pas du cynisme, mais une évidence. Comme tous les pays représentés à Paris sont convaincus d’être « grands », quels sont les intérêts de chacun d’eux à venir y faire de la figuration ? Car, à franchement parler, sur le terrain de la com’, seul compte Nicolas Sarkozy, à côté de qui les autres, tous les autres, sont des faire-valoir. Le Président Kadhafi, peu doué pour un tel rôle, s’est fait porter pâle non sans démolir l’initiative et le Roi du Maroc, prétextant un agenda soudain chargé, a délégué son frère aux festivités. Le Roi de Jordanie était ailleurs.
La seule petite certitude de ce cirque, s’il faut appeler un chat un chat, c’est le sens que l’on peut attendre de la présence de Béchir El Assad. On peut en effet augurer que le Chef de l’État syrien a sauté sur l’occasion qui lui était offerte de sortir son pays de l’isolement diplomatique. Il est d’ailleurs l’une des rares vedettes, en dehors de l’hôte français, de ce show. De fait, l’homme n’est pas ordinaire. Né avec une cuiller d’argent dans la bouche, il ne s’en est pas tenu là comme feu son frère aîné qui courait les filles et gagnait des rallyes automobiles. Devenu médecin, il est parti pour Londres acquérir une spécialité en ophtalmologie. Il a aussi une caractéristique rare et personnellement constatée : il est modeste.
Aussi osé, aventuré et imprudent qu’est le rapprochement : et si Béchir El Assad voulait être, certes toutes proportions gardées, un Juan Carlos syrien ? Rappelons-nous. Lorsque l’actuel Roi d’Espagne succède à Franco en novembre 1975, qui aurait misé une peseta sur lui ? Élève docile du Généralissime, jugé (a priori) pas très malin, qui aurait imaginé qu’il ramènerait la démocratie en Espagne après ces « 40 années de paix » que vantait la propagande franquiste ; puis qu’il la sauverait lors de la tentative de coup d’État du colonel Tejero aux Cortès le 23 février 1981 ?
L’hypothèse d’un Béchir El Assad voulant, à son tour, mettre fin à un régime dictatorial tient de la gageure ; d’autres diront du pari stupide. Il est certain que les caractéristiques géographiques, économiques et… militaires de la Syrie ne sont pas comparables avec celles de l’Espagne européenne de 1975. Pourtant, si l’on veut croire à la réalité du conte de fées, n’est-ce pas à ce sujet ?