Sur la Croisette on ne sait plus quoi faire pour éviter que les juges s’ennuient. Voilà le maire Bernard Brochand traduit en justice pour une amende, de 80 euros, le prix d’une place de stationnement dans le port qu’il n’aurait peut-être pas dû exiger. Manoeuvres électorales ? Pas sûr du tout.
À l’orée des élections municipales, les maires préfèrent éviter la publicité judiciaire. Pas de chance pour l’édile de Cannes, le chiraquien historique Bernard Brochand et ses 70 printemps, le voilà convoqué au tribunal de grande instance de Cannes. Et pour une citation directe en chambre correctionnelle s’il vous plaît, prévu ce mardi 5 février à 14 heures. Un sabordage de sa campagne ou tout comme, à en croire son avocat.
« Franchement, une plainte pour une concussion de 80 euros », tempête Me Del Rio, son sympathique conseil, qui croit voir une « manœuvre très claire à cette période », derrière ladite plainte de concussion. En jargon « juridique », la concussion est « le fait par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public de recevoir, exiger ou ordonner de percevoir à titre de droits ou contributions, une somme qu’elle sait ne pas être due, ou excéder ce qui est due », décrit le rigolard article 432-10 du nouveau code pénal.
En gros, toucher du grisbi sous prétexte d’un impôt divers au seul motif que l’on se trouve investi de la puissance publique, un délit passible de 5 ans d’emprisonnement et 75000 euros d’amende.
En l’espèce, est reproché au gentil maire Brochand, et à son coaccusé M. Simondi, ci-devant régisseur du port, d’avoir fait payer le parking terrestre et le stationnement des bateaux du second port de Cannes, quand ils n’en avaient plus le droit.
Chatouillé par le tribunal correctionnel de Grasse, le maire Brochand aura fort à faire pour sa réélection en mars. Si la croisette n’est pas subitement devenue un repaire de sauvageons gauchistes, le candidat investi par l’UMP aura fort à faire avec les ouailles de la droite locale. Pas moins de trois listes issues de son propre camp lui font face. L’une menée par Philippe Tabarot, tout récemment suspendu de l’UMP pour sa rébellion contre le gentil maire sortant. Une simple crise de jalousie en fait. Tabarot soupçonne le maire de vouloir préparer le terrain à son fidèle second, David Lisnard. La deuxième, portée par Jean Martinez, un proche de l’ancien maire Michel Mouillot, a des effluves nostalgiques. Quant à la troisième, pilotée par un notaire cannois, elle devrait privilégier le côté strass. Le communicant Denis Bonzy, « longtemps proche d’Alain Carignon », note le Figaro, s’y attèle.
Un jugement du tribunal administratif de Nice – aux liens assez troubles avec la mairie cannoise (lire ci-dessous) – daté du 17 avril 2007, retire de fait à la ville de Cannes le droit de faire payer le stationnement sur le port. Et de vils flibustiers, parties civiles dans le dossier, ont saisi au vol la décision judiciaire. Dès le 24 avril, Eric Lévy Brusac et son association Objectif 2014 font constater par voie d’huissier que la mairie fait toujours payer le stationnement des embarcations dans le port. Plus précisément, en ce beau jour de printemps, Lévy s’acquitte d’une obole de 80 euros, constitutif selon lui de la concussion. Ce petit constat d’huissier a motivé la plainte qui amène aujourd’hui Brochand devant le tribunal… Et a le don de hérisser son avocat, aussi prompt qu’un moussaillon à relever « la particulière mauvaise foi et la malignité des parties civiles ».
Ces pirates ont eu l’audace de faire « établir un constat d’huissier moins d’une semaine après de que le jugement administratif ait été rendu » et il n’est pas « rapporté la preuve que messieurs Brochand et Simondi en avaient eu connaissance »
Certes le délai peut sembler court, d’autant que Me Del Rio avance un argument bien français, « la lourdeur de la machine administrative », pour justifier de la mésinformation de son client.
Cependant, tandis que la mairie de Cannes – donc assurément mise au courant de la décision de justice – interjette appel de la décision du tribunal administratif, appel enregistré le 20 juin, l’accès aux parkings maritimes et terrestres du port demeure lui, payant. Et pas seulement pour les plaignants, d’où une rentrée d’argent bien plus importante que les 80 euros invoqués par le maire et son avocat…
La mairie de Cannes, fidèle à la droite depuis les années 80, a perdu une amie en 2005, la vice-présidente du tribunal administratif de Nice, Evelyne Stahlberger. Ou plutôt l’a vu s’éloigner. La bonne dame, mandataire de l’ancien maire RPR de Cannes, Michel Mouillot lors des municipales de 1989, a en effet été mutée à Nancy, le 1er mars 2005. En fait « un déplacement d’office », après que les services d’inspection aient constaté « série d’irrégularités graves dans l’instruction et le jugement de diverses affaires ». Sur la Côte, Madame Evelyne était en charge des collectivités locales et des marchés publics
Ce que confirment deux autres constats d’huissiers, datés du 24 juin et de début juillet, avancent les parties civiles. Et ce n’est que depuis le 7 juillet 2007 que le stationnement devint, conformément à la décision judiciaire, gratuit.
Stationnement libre, presque un argument électoral… N’eut été cette petite procédure devant la chambre correctionnelle.