Vingt-quatrième cérémonie de voeux pour le président camerounais. Tout le monde est las. Sauf lui et sa cour
Y a-t-il au monde chose plus comique que les interventions télévisées de Paul Biya ? Posté devant la CRTV dimanche dernier, à l’occasion des vœux présidentiels 2007, l’émissaire de Bakchich à Yaoundé s’est tellement bidonné qu’il a failli s’étouffer avec une cacahuète.
À première vue, rien que de très habituel : un vieil homme agrippé à un pupitre en plexiglas, l’œil scotché à un prompteur mal réglé, qui égrène en chevrotant un chapelet de platitudes et de banalités. On connaît le refrain : « Mes chers compatriotes, je suis bien conscient que tout n’a pas été facile cette année. Mais tout devrait s’arranger l’année prochaine si vous êtes bien sages (et grâce aux remèdes-miracles du FMI et de la Banque Mondiale) ! Alors bonne année ! Bonne santé ! Et vive le Cameroun ! »
C’est tellement banal qu’on pourrait s’endormir. Mais comme ça fait vingt-quatre ans que ça dure, on se dit que l’ancien dictateur, reconverti en « démocrate » au début des années 1990, s’est lancé dans une carrière de comique (de répétition). Car on ne peut que se pincer en l’entendant radoter, une fois de plus, sur son inébranlable « croisade contre la pauvreté » et se féliciter, en bombant le torse, du « privilège assez rare » de vivre en « démocratie ». Et c’est la franche rigolade quand « l’Homme-Lion » se met à vilipender – après un quart de siècle à la tête d’un des régimes les plus corrompus au monde – « l’inertie » et « la corruption » qui ravagent le pays…
Sans sous-estimer son talent exceptionnel, force est toutefois de constater que le clown Biya n’est pas seul en piste. Car à peine terminé son sketch télévisé, une bande de boute-en-train à lunettes envahissent le petit écran pour acclamer, à grand coup de paraphrases et de superlatifs rémunérés, la puissante pensée présidentielle.
« Qu’on se souvienne le 31 décembre 1986, s’exclame le présentateur de la télévision étatique Ibrahim Chérif. Le Chef de l’Etat Paul Biya annonçait à des Camerounais médusés que l’année d’après ne serait pas une année facile. Ce soir, vingt ans après jour pour jour, on est heureux d’apprendre que ça va beaucoup mieux et que de bien meilleurs jours s’annoncent à l’horizon ! » Puis entre en scène Charles Ndongo, indéboulonnable éditorialiste politique de la CRTV et exégète incontesté des oracles biyesques.
Comme chaque année, comme chaque fois qu’il entend la voix bêlante du maître, il tombe en pâmoison : « contant », « pédagogue », « sensible à la vie quotidienne de ses concitoyens », Paul Biya « ne va manifestement rien lâcher du processus vertueux dans lequel il a engagé le Cameroun », etc. etc. Et, comme chaque année, il promet aux téléspectateurs hilares une année nouvelle « bien meilleure [que la précédente], sur tous les plans ».
C’est ce qu’on appelle au Cameroun le bêtisier de fin d’année.
Malgré tout le respect et la considération que j’ai pour ce pays aux énormes potentialités et qui est mien, dans la grande forêt Cameroun, quelqu’un est bel et bien perdu : soit c’est le peuple, soit c’est son guide, ou bien alors les deux. La sagesse de la forêt dit ceci : étant en brousse, si on passe plus d’une fois sous un même arbre, qu’on sache qu’on est perdu. Ô Cameroun, berceau de nos ancêtres !!! On n’est pas loin du vide, que dis-je, on n’est pas loin du gouffre. Non, il y a espoir ! Ces contradictions persistantes sont le signe annonciateur du déclic tant attendu.
Il y a en effet dame Nature, qui a horreur du vide. Ce qui n’a pas pu être fait par les hommes pendant des décennies, elle va le réaliser en un temps record. Le glas a sonné et, malheur aux caciques qui perséveront dans l’endurcicement !
Cet article empreint d’humour illustre assez bien cet état de fait. J’ajouterais à côté de ces "artistes"-interprêtes-traducteurs du petit écran, tous ces autres chantres qui n’ont pas le privilège d’exprimer tout de suite leurs "talents" après le chef d’oeuvre oratoire du guide, et dont l’ordre actuel des choses constitue le seul vrai gage de survie. Ils sont partout, avec un atout indéniable dans leur besace : le moment venu, ils seront les premiers à renier leur maître, justifiant leurs nombreux forfaits par les "obligations" professionnelles.