Aucun charisme, mal éduqué, pas d’idées… Un livre sur Oussama Ben Laden - dont la CIA vient d’affirmer qu’il est toujours en vie - révèle la nature du terroriste le plus connu de la planète.
Finalement que savait-on d’Oussama Ben Laden, considéré comme l’un des hommes les plus dangereux de la planète ? On le situe plus ou moins comme le grand manitou des attentats du 11 septembre, on visualise ses apparitions mises en scène par les petites mains video du terrorisme, on imagine des coffres de billets sans fond dans lequel ce Saoudien né au Yémen, rejeton d’une famille richissime, puiserait éternellement l’argent de la guerre sainte des islamistes.
On était loin de la réalité. Un « pantin », un « sociopathe ordinaire », résume en quelques termes bien sentis un ancien espion, Alain Chouet, qui préface le livre de Ian Hamel, journaliste au Matin Dimanche en Suisse et collaborateur de Bakchich : L’énigme Oussama Ben Laden, publié le 5 novembre (éditions Payot). Oui, apprend-on dans l’ouvrage passionnant et instructif, la star terroriste des années 2000 se caractérise par un comportement impulsif, l’indifférence vis-à-vis des normes sociales ainsi qu’aux émotions et aux autres. Oui, lit-on encore, la mégalomanie, la religion, l’absence de charisme et de narcissisme, la polygamie, la mauvaise éducation sont les ferments de la fabrication de « l’illuminé » Oussama.
Courant tout au long de sa vie après une légitimité, guerrière pour commencer, puis religieuse, il s’est fabriqué une légende de combattant au cours de l’invasion soviétique en Afghanistan : « Son premier affrontement – et peut-être le seul – avec l’Armée rouge date d’avril 1987. Il s’agit plus d’une escarmouche que d’une bataille rangée. Et la kalachnikov, avec laquelle pose fièrement Oussama face à la caméra n’a certainement pas été prise, comme il le prétend, sur le corps d’un général russe tué à Jagi. On a la preuve qu’aucun officier supérieur ne participe à l’incident », écrit Ian Hamel. Il a beau dormir la Kalach à ses pieds, l’homme n’a jamais vraiment combattu.
Oui, ce grand échalas aux cinq femmes et plus de 20 enfants, doté d’une « voix douce », selon l’un de ses fils, qui reste étendu parfois des heures durant sur son lit ou sur sa paillasse, dans des maisons rudimentaires, a fasciné la planète. Fabriqué par le chef des services secrets saoudiens le prince Turki, qui l’envoie au contact pour le contrôler et se renseigner, influencé par Abdullah Azzam, un leader du Jihad, puis par l’Egyptien Ayman Al-Zawahiri, Oussama n’a rien du chef de guerre ou d’une tête pensante. Riche (avec une fortune qui fond au fur et à mesure que les années passent) et effacé, il semble prêt à tout pour exister. L’auteur a reconstitué ses tribulations au Proche-Orient et démonte les fantasmes.
Non, Ben Laden n’a pas vécu, jeune étudiant, la vie de patachon. Non, il ne disposait pas de caches ultra-perfectionnées dans les montagnes de Tora-Bora, mais de vulgaires anfractuosités que les ouvriers du groupe de BTP familial avaient un jour creusées, tels des « trous à rats ». Non, il n’existait pas de laboratoires ultra-sophistiqués dans les camps d’entraînement qui ont formé les soldats perdus du terrorisme. Juste des « locaux rustiques où des expériences, conduites par des bricoleurs, se limitent à l’empoisonnement de chiens et de chats dans des soupentes de fortune par des toxiques d’usage courant ».
Le livre dévoile les enquêtes de différents services secrets et livre de jolies anecdotes. Voilà Ben Laden reçu par le ministre de la Défense saoudien (le prince Sultan) en 1991, alors que les Irakiens, qui ont envahi le Koweït, massent leurs troupes le long de la frontière du royaume. Oussama lui explique qu’il construira des pièges et des tranchées grâce au groupe de construction familial pour stopper les soldats de Saddam. Il affirme « disposer de 100 000 hommes » pour défendre l’Arabie. « Le prince Sultan lui demande quelle sera sa riposte face aux missiles et aux armes chimiques et biologiques. “Nous les combattrons avec la foi”, répond le général Oussama, imperturbable. Atterré, le ministre de la Défense met rapidement fin à l’entretien ». Voilà le stratège génial démasqué…
Question : comment l’Occident peut-il « admettre qu’il s’est fait surprendre par de tels amateurs », loin de toute idéologie, de tout projet politique…