L’histoire du droit a décampé de la fac et le cours déménage au théâtre de la Madeleine où Jacques Vergès fait le mandarin merveilleux.
Sauf huis clos, la justice est un spectacle. Il est donc bien normal que ce soit le plus inventif et révolutionnaire des avocats qui passe à l’acte, puisque nous sommes au théâtre, en montant lui-même sur scène. Ou, plus simplement, c’est à force de lire des actes que notre auxiliaire de justice a eu envie d’en écrire ?
Spectateur, quand on s’assied dans les fauteuils d’un rouge procureur, de la couleur de la lame des guillotines, on ignore quelle sera notre peine. Bonheur, il n’y pas de peine mais une relaxe, ce qui montre que Vergès est un jacuzzi des neurones.
Que dit le maître, au fil de ce qui n’est pas une conférence, mais du théâtre vivant pour parler l’ Albanel en v.o. ? Sobre comme un anglais privé de gin, il nous entraîne au cœur du « big bang » de l’humanité, là où il y a amour et haine, amour ou haine et mensonges, avec des couteaux, des fusils, du poison et de l’injustice. Des cas de conscience ou d’inconscience.
Vergès nous raconte l’histoire d’Antigone, une vieille fiancée à lui. Puis celle de Jeanne d’Arc, et, cette fois, l’amour est resté platonique. Quand on connaît la vie de Vergès -autant qu’il est possible dans ce tunnel de mystères- on sait que lorsqu’il évoque en rouge et noir, après Antigone et Jeanne, le cas de Julien Sorel, l’avocat n’est pas amoureux de son sujet. Mais c’est pire : le héros de Stendhal, c’est lui. Comme Flaubert était Bovary !
En une soirée, Vergès nous rappelle qu’un coupable n’est qu’un ancien innocent. Que, coupables, nous le sommes tous un peu, en réserve. Et qu’il est facile de le devenir. Je n’ai jamais vu Vergès être aussi avocat, je veux dire profondément sincère, que quand il fait ainsi l’acteur. Sans doute parce qu’un public à convaincre mérite plus la franchise de l’âme nue qu’un président de tribunal. Et ceux qui voient un cynique chez ce plaideur n’ont vraiment rien compris au mandarin.
Fatalement, Vergès en arrive à la défense des fellaghas du FLN, à l’invention de la « rupture ». Dans la foulée il évoque, à pas légers et rapides, le cas de Barbie sur lequel personne dans la salle n’a envie de lui demander de compte. Tant son explication sur la défense des bourreaux apparaît comme logique, éthique… Quand on sort de ce Vergès-show on se sent moins con. Vous me direz qu’il reste du chemin à faire avant de confiner à l’Alain Minc, à l’Attali… au génie ? Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre comme le disait, autrement, Fitzgerald.
« Serial plaideur » avec et de Jacques Vergès au théâtre de la Madeleine, 19 rue de Surène Paris 8e, places à partir de 14 euros. Seulement le dimanche et le lundi jusqu’au 29 décembre.