On pourrait croire que le festival BD d’Angoulême rime avec bohême. La réalité est moins flatteuse, en proie aux logiques du marché. Tu veux une BD signée ? Achète la !
Depuis maintenant 6 ans, les éditions Dupuis imposent aux visiteurs du festival international de la bande dessinée d’Angoulême, un achat en contrepartie de la dédicace d’un auteur. Une logique pas très bien acceptée par les amoureux du neuvième art qui dénoncent un souci de rentabilité toujours plus accru. Dans un festival qui reste cher (l’entrée adulte est de 13 euros pour un jour), en 2010 les éditions Paquet emboitent pourtant le pas de l’obligation d’achat. « Si vous avez chez vous un ouvrage de Chaiko ou dOlivier Dauger par exemple, vous ne pouvez pas le faire dédicacer sans un nouvel achat dans le stand de Paquet" regrette un visiteur dans une file d’attente. Chez Dupuis, si un dessinateur oublie même « par mégarde » de demander un ticket contre une dédicace, il y a des personnes chargés de lui rappeler. « Nous avons mis en place ce système pour réguler les dédicaces explique Ti Ngyen responsable salon chez Dupuis, ceci permet de ne pas trop surcharger les auteurs ».
Il est vrai aussi qu’au fil des années, le festival d’Angoulême a vu déferler de véritables chasseurs de dédicaces et qu’un marché parallèle s’est développé sur le net. (Un dessin de l’auteur Italien Frezzatto peut facilement approcher les 500 euros en lignes). Files d’attentes, vigiles, dans l’espace « grandes bulles » la pratique a pris une importance qui est en train de lui faire perdre tout son sens. Mais des solutions implicites se sont mises en place. Afin d’éviter la revente, les dessinateurs tentent de personnaliser au maximum la dédicace, en mentionnant par exemple le nom du fan qui la demande. Les auteurs refusent aussi pour la plupart, de signer ou de dessiner sur un papier-volant (facilement revendable). Autre solution qui n’exige pas de contrepartie financière : la mise en place cette année par les éditions le Lombard d’un nombre limité de dédicaces pour les auteurs très demandés (Kas, Valles…) Premier arrivé, premier servis en somme. Mais le monde de la BD reste malgré tout devant un véritablement enjeu : comment favoriser une rencontre entre un auteur et un lecteur, qui ne soit pas fondé sur un seul rapport de consommation lié à la dédicace ? Un défi que les éditions associatives dans l’espace « un autre monde » parviennent mieux à affronter. Pour les auteurs de la BD indépendante, les logiques du marché ce font moins sentir car la plupart ne vivent pas de leurs travail. Plus critiques, moins formatés, leurs lecteurs ne sont pas non plus les mêmes et demandent plus rarement une signature.
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C’est pas neuf qu’Angoulême brasse du grand air au dessus d’un chassis plutôt plombé 360 jours par an (voir les années Boucheron). Les gros impôts qui ont suivi pour renflouer ont semble t’il donné des ambitions tintinesques aux municipalités suivantes ("Pôle Image" et son projet fusée, musée de ceci, centre international de celà…), sans pour autant mettre en place une véritable politique attractive pour le vrai public. Résultat aujourd’hui, allez visiter le Musée de la BD, rien que le jeu du fléchage signalétique vous projetera dans un univers surréaliste (genre au bout de l’impasse parmi les squats), ça nous change quelque peu de l’accès au Futuroscope, même pas la peine d’aborder l’aspect rentabilité…
Concernant le "bizness", ça fait un moment que certains poussent le gras du monde à bulles pour en tirer du jus bien clinquant, galiéristes et agents d’auteur en premiers. L’intérêt étant d’en créer une niche spéculative, enchères, valeurs d’investissement, etc… Résultat on se retrouve aujourd’hui avec des gouaches à la con d’Astérix affichées 200 000 euros ( à choisir entre le nabot à moustaches "baffes dans la gueule du romain" ou une aquarelle de William Blake ou esquisse de Bonnard, v’la que le doute m’assaille…) Une des fulgurances magnifiques de ces "v’en t’en bourse" revient au vendeur de Bilal (un de ces Artistes aujourd’hui bankables au delà de toute convenance artistique), comparant le trait du sus-nommé à la finesse d’un Fragonard… Bien sûr, même plus fort dans l’écrit qu’Orwell et K.Dick réunis et à l’esthétique cinématographique largement supérieure à Kubrick !
Comme disait l’autre : "les cons ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnait"
Ceci dit dans le monde de la BD les marchands sont rentrés et installés dans le temple, mais les miniatures du veau d’or sentent malheureusement un peu trop le toc.
le fait que les dédicaces libres se retrouvent souvent en vente aux enchères et qu’il y a des "professionnels" de la dédicace. Comme les dessinateurs les font, traditionnellement, à l’oeil, ils en ont un peu marre de voir se développer depuis pas mal d’années déjà cette "industrie" qui se fout éperdument de leur travail. La problématique existe depuis très longtemps, là, Angoulême a fait un peu brutal mais, pour avoir pas mal de potes dans le milieu, je sais que ça pose problème depuis longtemps. D’autant que les auteurs de B.D, comme les écrivains, les graphistes et les photographes, ne sont pas intermittents, donc, pas de ventes, pas d’épinards à mettre autour du beurre.
Bien sûr essayer de favoriser les rencontres auteurs-lecteurs, c’est bien mais ne pas oublier qu’acheter leurs livres est la seule façon de payer leur travail.
De plus, il est impensable pour un auteur de refuser de participer à une séance de dédicace toujours mise en place par les éditeurs ou les festivals. En gros, ce sont des heures de boulot non rémunérés et obligatoires face à un public de fans qui bien souvent confondent admiration et possession : j’ai vu des gens se faire insulter parce qu’ils refusaient au bout de trois ou quatre heures de dessin à la chaine, de faire une dédicace en pleine page et quatre couleurs/vingt personnages. J’exagère, mais tout juste. Alors oui, tout cela parait très sordide mais n’est peut-être pas si simpliste qu’il y parait.
Les auteurs sont coincés entre les deux donneurs d’ordres : les fans et les éditeurs. Et à eux d’en supporter les caprices !
Pour finir, et sans aucune agressivité de ma part, ne trouvez-vous pas qu’utiliser le terme "bohême" pour parler du travail artistique est un tantinet gavant ? Jusqu’à preuve du contraire, il s’agit aussi d’un travail qui doit permettre de vivre concrètement, de payer son loyer et de se nourrir, il n’y a pas de "bohême" dans l’Art mais seulement dans l’image que le public se fait des artistes.