Beaucoup plus intéressant que le divorce de Nicolas et de Cecilia S., celui entre Al Jazeera et Al Qaida. Il y a même de la fatwa dans l’air !
Les communicants d’Oussama Ben Laden (OBL) ne décolèrent plus contre leur ex-canal de communication : la chaîne de télévision qatarie Al Jazeera. Dernier épisode en date de ce divorce qui n’en finit pas, la mise en ligne par la bande à OBL sur des forums djihadistes d’une méchante vidéo montrant l’émir du Qatar en train de serrer la pince du président Bush. Sous-entendu, le méchant homme s’est mis au service du grand satan américain. Cette fois, Al Qaida reproche à Al Jazeera le traitement réservé au dernier message audio de Ben Laden en date du 23 octobre. Le cheikh s’y adresse « au peuple irakien », l’appelle à ne pas se diviser et l’invite à suivre la loi de la Charia plutôt que de s’engouffrer aveuglément derrière un chef. Un comportement qu’il taxe d’« égarement ». Et c’est là que le bât blesse.
Dans son reportage, Al Jazeera a interprété cette phrase comme un appel à ne pas sombrer dans l’erreur de la violence au service du djihad. Un crime de lèse-Al Qaida qui suscite le courroux du centre d’information Al Fajr, un organisme virtuel (entendez qui évolue sur le Net) spécialisé dans la com’ de groupes djihadistes. Dans une déclaration mise en ligne au lendemain de la diffusion du sujet sur Al Jazeera, ses scribes accusent la chaîne d’avoir tronqué et « falsifié » le sens du message de leur « starroriste » préférée. Ainsi, dénonce le centre Al Fajr, lorsque le maître évoque les « égarements » des moudjahidines qui placent l’obéissance à un chef au-dessus de l’autorité des lois de la Charia, il ne voulait certainement pas reconnaître des « erreurs » dans le recours à la violence… Voyons ! Très énervés, ces communicants un peu spéciaux crient même à la trahison. « Au lieu d’adhérer au code de conduite d’impartialité des journalistes, conformément au slogan revendiqué de la chaîne “une opinion… et l’autre”, les dirigeants d’Al-Jazeera ont honteusement choisi de se placer du côté des croisés, des hypocrites, des sanguinaires et des traîtres d’Irak », grondent-ils. Ça commence à sentir la fatwa…
Voilà en tout cas qui n’arrange pas les affaires d’Al Jazeera qui doit aussi ferrailler contre l’administration Bush. Longtemps accusée par les Américains d’être la porte-parole des amis de Ben Laden, ceux-ci n’ont pas hésité à bombarder le bureau de la chaîne à Kaboul, en Afghanistan, en 2001. Des dommages à l’époque qualifiés fort peu élégamment de « collatéraux » par Washington. On se souvient aussi de l’arrestation du correspondant vedette d’Al Jazeera, Taysir Allouni, pour « complicité » avec les Talibans. Ou encore, de l’interdiction de travailler en Irak signifiée par le « gouvernement » de transition irakien aux équipes de la chaîne après le déclenchement de la guerre.
Les communiqués du centre Al Fajr ne manquent pas de piquant grâce aux jeux de mots parfois graveleux qui les émaillent. Ainsi, la famille royale saoudienne Al Saoud se fait régulièrement traiter d’Al Saloul (vieux malade). Quant à Al Jazeera, elle a droit à un vilain « khanzira », alias la « cochonne »
Le tout sans compter les pressions diplomatiques américaines exercées sur l’Emir du Qatar, allié des États-Unis et en concurrence avec l’Arabie Saoudite pour gagner en influence dans la région. Résultat : Al Jazeera, qui a bâti sa popularité sur sa ligne anti-américaine et anti-régimes arabes, a mis de l’eau dans son thé en se résignant, comme ses concurrentes, à ne pas diffuser l’intégralité des messages des leaders d’Al Qaida. Les intéressés l’ont bien compris et leur amertume est palpable : « on ne va pas se lamenter sur une chaîne qui a accumulé les marques de traîtrise à l’égard de notre Oumma [1], d’infidélité à notre religion et qui est devenue un instrument dans les mains des mécréants » tonnent sur internet les messagers de Ben Laden avant d’ajouter « c’est vraiment malheureux d’en arriver au constat que les incroyants, en dépit de leur mécréantise et qu’ils soient nos ennemis, sont souvent plus courageux en diffusant les messages de nos leaders, alors que vous, vous êtes supposés appartenir à notre peuple ».
En clair : finis les scoops à la barbe de CNN, Al Jazeera peut toujours courir pour décrocher des interviews exclusives. Qu’ils rament donc comme tous les autres pour accéder aux Talibans, aux insurgés irakiens, aux futurs kamikazes tapis dans le monde ! Au final, la realpolitik aura eu piteusement raison de cette passion commune qui a tant contribué à l’ascension d’Al Jazeera comme… d’Al Qaida.
Ci-dessous : des documents produits par le Centre d’information Al Fajr.
La fabrication des Américains : le logo d’Al Jazeera sur fond de drapeau américain, la chaîne qatarie comme 53e étoile de la bannière étatsunienne.
Al Jazeera brûle-t-elle ? « la charte de déontologie journalistique » de la chaîne, vouée aux enfers.
[1] La communauté des croyants
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