Les attentats dans la montagne du Mten nord fait remonter à la surface les vieux contentieux inter-chrétiens sous fond de confrontation Sunnites/ Chiites.
Les libanologues multicartes ont encore frappé et pointé des doigts accusateurs exclusifs en direction de Damas après le double attentat meurtrier commis contre des minibus, le 13 février dernier, dans la montagne libanaise. Non que les Syriens soient des anges, mais d’ici à leur attribuer tous les coups tordus de la région… il y a une marge, d’autant que le Liban compliqué et ses voisins très baroques - Israël compris - ont plus d’un tour dans leur grand sac à réjouissances pas toujours drôles…
En portant le feu à Aïn-Alaq, à deux kilomètres de Bikfaya, dans la montagne du Metn nord, à majorité chrétienne, les commanditaires des attentats ont clairement voulu atteindre le clan Gemayel, voire ses voisins, la famille Murr, dirigée par le patriarche Michel Murr, solide allié du président Emile Lahoud , et son fils Elias, actuel ministre de la Défense. Voilà qui fait sens. Cette région est, en effet, le fief historique du ministre de l’industrie Pierre Gemayel, assassiné le 21 novembre 2006 dans une banlieue de Beyrouth, et de son père, l’ex-président Amine Gemayel, chef du parti Kataeb (les Phalanges). Les deux bus, d’une capacité totale d’une soixantaine de passagers, circulaient sur une route de montagne très fréquentée. Une explosion a eu lieu à bord du premier véhicule, alors que le deuxième, roulant à quelques mettre derrière, était frappé, à son tour, par une violente explosion, trois minutes plus tard. Il s’agit, selon un porte-parole de l’armée libanaise, du premier attentat frappant des transports en commun depuis la fin de la guerre civile (1975/1990).
Dans cette montagne, tout le monde se connaît et l’on voit mal un quelconque barbu ou autre moukhabarat spécialisé s’approcher et bricoler deux bus sans être aussitôt repéré. Qui alors pourrait, localement en vouloir ainsi aux familles Gemayel et Mur ? Comme au lendemain de l’assassinat de Pierre Gemayel, les services compétents cherchent aussi à démêler les vieux contentieux inter-chrétiens qui n’arrêtent pas de remonter à la surface depuis que Samir Geagea, le chef des forces libanaises (FL) est sorti de prison au lendemain des élections législatives de juin 2005. Non seulement, le brave homme n’a pas bien digéré son séjour de quelques années en cabane , mais il admet encore moins avoir perdu son ascendant sur la communauté chrétienne dont les brebis égarées du général Aoun ont fait alliance avec les Hezbollah d’Hassan Nasrallah. Dans le contexte de la crise libanaise actuelle sévissent à nouveau les rivalités inter-chrétiennes afin de reconquérir un leadership compact sur l’ensemble des maronites.
Suite aux différentes médiations menées par la Ligue arabe et l’Arabie saoudite (sous pression de Washington et de Paris), le gouvernement de Fouad Siniora sera, tôt ou tard, obligé d’ouvrir ses rangs aux chrétiens aounistes afin de constituer un gouvernement d’une union nationale la plus large possible. Des élections législatives anticipées pourraient suivre et voire la défaite de la coalition du 14 mars (sunnites du clan Hariri, druzes de Walid Joumblatt et chrétiens non-Aounites). On irait ainsi vers la constitution d’un bloc Hezbollah-Aounistes majoritaire, sinon minorité de blocage.
Deux forces demeurent farouchement opposées à cette perspective de plus en plus inéluctable : en premier lieu, les agités des Forces libanaises qui veulent reconstituer les vieilles alliances de la guerre 1975/1990 d’une chrétienté pro-israélienne opposée à toutes composantes musulmanes ; en second lieu les Sunnites qui vivent très mal la montée en puissance des Chiites libanais. De fait, la dualité pertinente n’est certainement plus celle, répétée à longueur de journaux télévisés, des pro et des anti-syriens mais bien la confrontation Sunnites/Chiites qui fait craindre une « irakisation » généralisée de la région.
Dans ce contexte de crises très imbriquées les unes dans les autres, de Gaza et Cisjordanie à la scène iranienne en passant par la guerre civile irakienne, la clé d’un retour à la stabilité régionale passe inévitablement par un règlement de la question palestinienne. À ce stade, il apparaît parfaitement illusoire de croire à un règlement purement libano-libanais dont la solution passerait par la seule instauration d’un tribunal pénal international chargé de juger les présumés coupables de l’assassinat de Rafic Hariri (14 février 2004).
En attente du rapport final de la Commission internationale d’enquête dirigée par le magistrat belge Brammertz, on peut légitimement se demander qui sera jugé par un tel tribunal ? Et quelles sont ici les finalités de cet exercice mal défini d’une justice internationale susceptible de probables instrumentalisations politiques aux fins, notamment, de préserver la coalition du 14 mars, favorable à l’agenda américano-franco-israélien visant principalement le démantèlement, non seulement du Hezbollah, mais aussi de toutes forces susceptibles de résister à l’instauration de l’ordre régional que cherche à instaurer Tel-Aviv.
Ceux qui ont posé les bombes dans les minibus n’ont pas pu ne pas se poser la question…