Vous ne le savez peut-être pas, mais la France a bien été sacrée championne du monde dimanche 9 juillet après avoir battu l’Italie par trois buts à un.
Deux buts de Zidane (penalty puis de la tête sur un centre de Sagnol) et un but de Franck-Bilal Ribéry. Non, ce n’est pas un canular. Je ne délire pas, j’y crois. Cela s’est bien passé, mais malheureusement dans un monde parallèle au nôtre. Oui, la France a bien accroché une seconde étoile à son maillot, mais seuls nos doubles virtuels ont célébré cette victoire. Et voici ce que Zidane a déclaré à la conférence d’après-match : « Je dis deux fois merci à Materazzi. La première pour le penalty qu’il a provoqué contre Malouda et la seconde pour m’avoir manqué de respect pendant les prolongations et m’avoir aidé à trouver la rage nécessaire pour marquer mon second but. En ce moment, ce vilain doit pleurer dans les vestiaires et moi je suis champion du monde ». Science-fiction ? Pas si sûr…
Mais revenons sur terre et restons dans notre réalité, pauvres zizou-maniaques que nous sommes, stupéfaits par un coup de tête qui demeurera dans l’Histoire. Ignorons le chemin des tartuffes moralisateurs et des donneurs de leçons qui ont accablé le numéro 10 magique, avant de tempérer leur discours accusateur dès le lendemain après avoir pris la mesure du pouls populaire. Demandons-nous plutôt pourquoi ce scénario de la victoire française, qui semblait être gravé dans le marbre, ne s’est pas réalisé. Chacun a son explication et la mienne vaut ce qu’elle vaut.
À un moment du match, bien avant les prolongations et alors que la victoire de la France était inscrite, quelque chose s’est certainement déréglé et nous avons basculé dans une autre réalité virtuelle, un phénomène comparable à celui que décrit le film Matrix. Ce dérèglement dont je parle fait écho à l’appel mystique entendu par Zinedine Zidane, que j’ai déjà évoqué dans une chronique de l’été dernier [1]. Le malheur, c’est que des hommes et des femmes, des journalistes, des publicitaires, des « chargées de com », des politiques n’attendaient que cette dernière victoire pour le consacrer, faire de lui un dieu vivant et oeuvrer à propager les rites de sa dévotion.
Volontairement ou non, par son geste, ZZ a réintégré les rangs de l’humanité. Il nous a évité l’avalanche de superlatifs et d’incantations outrancières, pour ne pas dire blasphématoires. Zidane n’est ni dieu ni prophète. Homme il est, homme il restera et c’est tant mieux pour lui. Le coup de tête infligé à Materazzi n’enlèvera rien à ce que ce joueur d’exception a réalisé. Peut-être même lui évitera-t-il de subir le châtiment réservé à ceux qui tutoient de trop près les cieux ou qui s’approchent dangereusement du soleil. En fait, c’est en marquant son penalty de manière aussi incroyable que Zidane a scellé son destin. À moins d’être surnaturel, il ne pouvait réaliser un autre exploit dans le même match sans engendrer une nouvelle religion véhiculée autant par des laudateurs que par des vendeurs de lessive. Et c’est ce que le ghayb, l’Inaccessible, lui a signifié : il n’est rien d’autre qu’un homme.
Au lendemain de la défaite, en parcourant les journaux du matin, j’ai réalisé une nouvelle fois combien la presse française pouvait être décalée par rapport au sentiment général. Dans L’Equipe, j’ai ainsi lu un papier écoeurant de démagogie, où un éditorialiste de la vingt-cinquième heure, jouant à l’ingénu indigné, se demandait « que confier à nos enfants, à tous ceux pour qui vous (Zidane) étiez redevenu l’exemple vivant, pour toujours ? ». Et d’ajouter, avec le fiel dont sait être capable ce quotidien grand spécialiste des retournements de veste (comme ce fut le cas lors de la Coupe du monde 1998) : « Je suis certain que vous avez pensé qu’il va falloir aussi expliquer ce coup de tête à vos quatre garçons pour qui vous êtes tant ».
Beuark ! La belle puanteur de guimauve rance. Que dire aux enfants ? Et bien la vérité, espèce de brel de salon ! Qu’ils vivent dans un monde qui n’est pas celui de Oui-oui ou de Barbie. Que rien n’est lisse, que le football c’est comme la vie, il y a des hauts et des bas. Que des enfants meurent sous les bombardements, que d’autres n’ont rien à manger et que l’homme est tout sauf parfait. Leur dire que le football, aussi passionnant soit-il, est truffé de sales histoires, de violence et de dopage (il n’y a pas que le cyclisme !), de trafics de jeunes joueurs africains. Leur dire que la vie, la réalité, ce n’est pas le monde aseptisé que nous vendent les télévisions et leurs annonceurs. Leur dire enfin ce que des mots comme honneur, fierté et même virilité peuvent signifier et pourquoi il faut parfois s’en méfier. Et ce qu’il y a de rageant dans la victoire de l’équipe italienne, c’est qu’elle profite à quelques fripouilles qui sont la vraie honte du football mondial. Prenez Materazzi, autrement dit « le matelas » : voilà le parfait exemple du destructeur qui ne recule devant aucun moyen pour casser de l’attaquant, comme lorsqu’il a explosé le visage de l’Argentin Sorin il y a quelque temps. Bref, une brute épaisse aux bras surchargés de tatouages aux lettres gothiques, dont les méfaits dans les surfaces de réparation sont rarement sanctionnés. Mais il y a pire.
Elu meilleur gardien du mondial, Buffon - impliqué dans le scandale des matches truqués du championnat italien - n’est rien d’autre qu’un sympathisant néofasciste. Une preuve ? L’un de ses T-shirts, exhibé en public, portait l’inscription suivante : « criminel celui qui lâche prise », un slogan usé jusqu’à la corde en leur temps par les fascistes de Mussolini. Plus grave encore, dans un autre T-shirt, c’est le chiffre 88 qui était imprimé, c’est-à-dire HH, le signe de ralliement des néonazis, puisqu’il s’agit des initiales de « Heil Hitler ».
Materazzi, Buffon…, dans l’équipe qui a gagné la Coupe du monde de football, ils sont quelques-uns à représenter dignement cette Italie qui fait honte, cette Italie qui triche, qui, tous les dimanches, insulte les joueurs noirs et fait revivre le salut fasciste à chaque but marqué. L’Italie de Fallaci et de Calderoli, l’ancien ministre de Berlusconi, qui a estimé que la Nazionale a battu une équipe composée de noirs, d’islamistes et de… communistes. Au lendemain du match certains ont soupiré « pauvre Zizou ». Ils ont eu tort, c’est « pauvre Italie » qu’il faut dire.
[1] Ouf ! Z-Z est de retour. Le 11 aôut 2005