C’est l’histoire d’une jeune fille belge, d’un réfugié togolais et de parents perplexes. L’album, « La jeune fille et le nègre », paru le 11 avril dernier en France, se penche avec humour sur la difficile intégration des demandeurs d’asile en Belgique. Histoire vraie.
Du côté du plat pays, l’accueil des migrants venus d’Afrique est un sujet aussi sensible que chez nous. Judith Vanistendael, jeune auteur belge de 33 ans, nous le raconte dans sa première BD, La jeune fille et le nègre, sortie en février 2007, dans sa version originale, en Flamand.
Septembre 1994. Sophie, étudiante de 19 ans, passe sa vie au Petit Château, le plus célèbre centre d’accueil des demandeurs d’asile en Belgique. Là-bas, elle rencontre Abou et tombe amoureuse de ce jeune réfugié togolais, au grand dam de ses parents. « Le problème ? mais TOUT ! Ce sont des demandeurs d’asile Sophie, tu ne connais pas leur passé. Et précaires… » lui adresse sa mère inquiète, avant que son père n’ajoute : « Abou ?? A-bou…Abou ?? Pas un TURC quand même… Ou un Marocain ». C’est pas gagné pour la jeune fille et son nègre.
Le père de Sophie, ou de Judith (l’histoire est en partie autobiographique), est le narrateur du récit. Il livre ses doutes, révélateurs des clichés, auxquels, il faut bien l’avouer, les occidentaux n’échappent pas vraiment : « Qui sait quels personnages horribles il fréquente !… des ivrognes, et…et. Et demain il fera venir sa sœur enceinte ! », dixit une bulle du papa. Voila ce que Judith Vanistendael a voulu pointer du doigt en adaptant en bande-dessinée le récit de son père sur cet épisode de sa vie : la méconnaissance de ces immigrés. « Beaucoup de gens ont une opinion sur les noirs en Belgique mais n’ont pas de relations personnelles avec eux, ils les “cataloguisent” sans les connaître » confie-t-elle dans un français un peu approximatif. « Ça raconte l’histoire des réfugiés d’une façon plus intime. Ça raconte aussi le côté de ceux qui accueillent ».
Défi réussi. Au fil des vignettes griffonnées à l’encre de chine, le lecteur plongé dans l’intimité de cette famille bruxelloise découvre comment les parents apprennent à connaître cet étudiant en chimie qui a fui la dictature de Lomé [1] et dont le diplôme n’a aucune valeur en Europe. De son côté, Abou s’en sort bien. Il aime les Léonidas (un bon point pour lui), il sait réparer illico presto la télé et se lance dans une bataille culinaire avec le père de sa dulcinée : sauce à l’huile de palme contre asperges belges. La cuisine adoucit les mœurs…
Question coup de crayon, pas de ligne droite, pas de couleur, seulement des pages en noir et blanc qui rappellent les couleurs du couple : un noir et une blanche. Le titre, La jeune fille et le nègre, renforce ce choix : « Je l’appelais “mon petit nègre” et lui “ma petite blanche”. Mais mon titre est volontairement provocateur, en flamand il se traduit même par “la Vierge et le nègre”, mais jeune fille c’était plus joli en français » détaille l’auteur. Manière efficace de bousculer son lecteur, de le choquer, de le pousser à tourner les pages, même si la couverture colorée, seule exception à la règle, est déjà une belle invitation.
Le tome 2, à paraître prochainement, racontera la même aventure mais cette fois du point de vue de Sophie, avec, promet l’auteur, une place plus grande à l’idylle du jeune couple. Nous verrons si toutes les histoires d’amour finissent mal…
[1] En 1967, un coup d’État porta au pouvoir Gnassingbé Eyadema qui dirigea seul le pays pendant 38 ans