Suite de la série de Bakchich, consacrée aux archives camerounaises. Quand, ni vu ni connu, les vieux dossiers sont recyclées en emballage papier.
Antoine n’est ni nerveux ni impatient. C’est sans doute pour cette double raison, double qualité devrait-on dire, qu’il poursuit ses recherches dans un pays où tout est fait pour le décourager. C’est pour cette raison également qu’il n’en veut pas tant que ça aux archivistes, aussi mal payés que lui, ni même aux gens du pouvoir qui font tout pour occulter ce qui pourrait les déstabiliser. S’il n’a pas d’argent, Antoine sait que le temps joue en sa faveur. Il vaincra, à la longue, l’inertie et les résistances.
Mais si le temps est l’allié de ceux qui savent attendre, il est aussi l’ennemi de ceux qui connaissent les conditions déplorables dans lesquelles sont conservées les archives camerounaises. Un jour qu’il fouillait les archives de Dschang, chef-lieu de la région de l’Ouest à l’époque de la tutelle française, le conservateur l’a emmené dans la réserve pour qu’il comprenne de visu pourquoi certaines archives restaient inaccessibles au public. « La pièce était totalement abandonnée, infestée de rats et de termites, se souvient Antoine encore effaré. C’était tellement infect que je suis tombé malade après être passé par là ! » À Bafoussam, autre ville importante de l’Ouest du Cameroun, les conditions de conservation ne sont pas meilleures. « À l’évidence, souligne Antoine, les gens au Cameroun ne connaissent pas la valeur des archives ».
Pour aller dans son sens, on évoque un article qui racontait comment les archives de Bafoussam se retrouvaient entre les mains des vendeuses de plantains [1]. Et cet autre témoignage, d’une de nos connaissances qui a un jour acheté des beignets empaquetés dans des documents signés de la propre de main de l’ancien dictateur Ahmadou Ahidjo ! « Bien sûr que c’est vrai, confirme Antoine. C’est même courant, j’ai moi-même retrouvé des emballages qui portaient la signature de tel préfet ou de tel gouverneur. À plusieurs reprises ! »
Et, à l’en croire, cette dilapidation ne concerne pas uniquement les archives mais également les documents administratifs actuels, c’est-à-dire les archives de demain. « Des agents véreux qui travaillent dans l’administration soustraient la documentation destinée à être transmise aux Archives, et la vendent dans la rue à tous ceux qui ont besoin de papier, explique-t-il. Si vous passez une journée dans la rue à Yaoundé et que je vous montre ceux qui vendent les papiers de l’administration, vous allez voir comment “la paperasse” se retrouve à emballer le poisson. » Et Antoine de poursuivre, en expert des recherches aux Archives : « Le plus drôle, c’est qu’on retrouve les mêmes fonctionnaires aux Archives, qui exigent de pouvoir consulter les dossiers… alors que ce sont eux qui ont vendu les papiers en bordure de route ! »
Il y a bien eu, de-ci de-là, quelques velléités visant à lutter contre les fléaux multiples qui menacent les Archives. Mais les milliards affectés se sont, chaque fois, mystérieusement évaporés… Le Cameroun c’est le Cameroun, comme dirait l’autre. Si bien que le nombre de chercheurs camerounais qui voient dans les Archives de l’ancienne métropole l’unique recours pour reconstituer leur propre histoire nationale ne cesse de grossir. Cruel paradoxe.
[1] « Les archives en déperdition à l’Ouest », Le Messager, 1er novembre 2006