Plus vraiment inspiré, Patrice Chéreau signe une caricature de films d’auteur dépressif français, une prise de tête à deux personnes dans un appart pourri.
Pour se venger, interview réalisée avec trucages :
Bon alors, ça roule ?
Patrice Chéreau : Plutôt. Je mets en scène de pièces de théâtre trop sympas comme "La Douleur" de Duras, des opéras à la cool style Janácek, je lis du Dostoïevski sur les planches pour faire chier Luchini et je reviens au cinéma quatre ans après "Gabrielle". Et bingo, je suis sélectionné à Venise. La classe, quoi.
Vous pouvez résumer Persécution ?
P. C. : Hum… Romain Duris est beau. Et ténébreux. Et beau. Mais il est persécuté par Jean-Hugues Anglade, un dingue qui est tombé raide amoureux de lui. Mais Duris, malade d’amour, persécute aussi sa fiancée, la pauvre Charlotte Gainsbourg. Mais bon, c’est une fille…
Il l’aime, elle l’aime, et ils se prennent la tête pendant 100 minutes dans un appart pourri. C’est quoi le problème ? Et de quoi ça parle votre film ?
P. C. : Euh, de la vie, de la mort, du père, du couple, tout ça. C’est un drame existentiel quand même.
Cela fait plus de 30 ans que vous faites le même film, avec des persos hystéros, tourmentés, qui se roulent dans leurs névroses. Ca va se voir, non ?
P. C. : J’espère bien, je suis un auteur moi, je creuse toujours le même sillon. Mais c’est également un poil autobiographique : j’ai été un moment persécuté par un admirateur… C’est dur d’être un génie.
Et vos dialogues ? Comment pouvez-vous écrire des trucs comme :
– « Tu regardes toujours les gens.
– Si je ne regarde pas les gens, je regarde quoi ?
– Mais ce n’est pas un regard tellement bon.
– Bah non, c’est un regard méchant. C’est ça ouais, c’est un regard méchant. »
P. C. : C’est beau comme du Eric Besson à Calais. J’en ai la chair de poule.
Avec Duris qui reste sanglé jour et nuit dans son grand manteau noir, on est au-delà du cliché. Je ne parle même pas de son appart, une espèce de loft-chantier, tellement 80’s.
P. C. : C’est post-indus, c’est top tendance, je l’ai lu dans « Elle déco ». Et vous avez vu, tout le film se déroule sous la pluie, ou dans le froid ? Cela s’appelle le style.
Ou de la pose. Et Duris, pourquoi l’avoir transformé en yéti super poilu et peint de grosses valoches sous ses yeux ?
P. C. : J’adore les « bears » habillés comme des clodos. Il est trop mimi Roro avec tous ses poils partout, sur la tête, sur le menton et sur la poitrine. Quant aux cernes, bah, c’est un personnage possédé à la Dosto. En plus, il est insomniaque, donc fatigué. Ca se tient, non ?
Et vous n’en avez pas marre de filmer les couilles d’Anglade ?
P. C. : Vous ne seriez pas un peu homophobe à Bakchich ? Il est mignon, Jean-Hu tout nu. Et pour les hétéros, il y a les tétons turgescents de Charlotte…
Passons. Pour la musique, c’est la cata absolue : Eric Neveux a composé des solos de guitare diarrhéiques. Et à la fin, il y a cette chanson d’Antony and the Johnsons sur le vent qui souffle…
P. C. : Je suis un précurseur. Je vais faire un malheur chez les bobos et les lecteurs de Télérama. Le morceau chanté par Antony est signé Lynch et Badalamenti – excusez du peu – et la B.O. sortira exclusivement dans les boutiques Agnès B. La classe internationale, non ?
« Persécution », de Patrice Chéreau, avec Romain Duris, Charlotte Gainsbourg, Jean-Hugues Anglade, Gilles Cohen.
En salles depuis le 9 décembre