L’honneur des journalistes qui ont mandat de faire vivre le débat démocratique n’est rien sans la confiance que les lecteurs-citoyens ont en eux. La crise de la presse écrite est une crise de confiance, et les Etats généraux de la presse organisés par un pouvoir caporaliste ne risque pas d’y changer grand-chose.
Le Monde se fout de la gueule du monde
La publicité que s’est payée la multinationale Clearstream dans le Monde humilie ses lecteurs. Quelqu’aient été les intentions du Monde en acceptant de se faire le porte voix de Clearstream qui propose à Denis Robert d’enterrer la hache de guerre (et pourquoi donc si Clearstream n’a rien à se reprocher et est sûre son droit ?), le résultat interroge sur l’indépendance d’un canard qui se veut de référence et sur l’idée qu’il se fait de son lectorat. Chacun peut se faire juge, cette méthode consiste au mieux à prendre les gens pour des cons (en pleine crise du « capitalisme clandestin »), au pire est carrément glauque. Parmi les contraintes qui pèsent sur les journalistes, la plus forte, la plus répandue et la plus silencieuse est la contrainte économique. Quand Ben Ali fait torturer des journalistes ou quand les talibans leur font sauter le caisson, c’est visible, y’a du sang qui gicle et on qualifie ça de criminel, d’attentat contre la liberté. Tout le monde s’insurge à juste titre. Quand un journaliste est étranglé par des procédures judiciaires en rafale ou ferme tout simplement sa gueule pour ne pas heurter le propriétaire de son canard qui vend des rafales… on appelle ça comment ?
Cette pub est un épiphénomène qui s’inscrit dans une tentative au long court d’établissement d’une verticale du pouvoir dans les médias. Le pouvoir, à savoir la thune enrobée d’idéologie et la force habillée d’institutions, faisant marcher au pas les médias, à savoir des mecs qui doivent bien bouffer.
La remorque à bestiaux, remember
Une image trotte dans ma tête depuis la présidentielle de 2007. A la veille de sa victoire, notre futur président se permet une petite ballade en canasson à travers l’élevage du mas de Lou Rayas, une manade près de Saintes-Maries-de-la-Mer, looké à la texane, histoire de se détendre. On est à la campagne, les chemins terreux ne sont pas calibrés pour les talons et semelles lisses de la formation de journalistes papillonnants qui suit l’évènement. Hop, les communicants trouvent la solution : on demande à un paysan du coin d’accrocher une remorque à bestiaux derrière son tracteur et on entasse tout ce petit monde comme des sardines pour couvrir la proto-présidentielle ballade. Comme il faut bien ramener un cliché, deux trois minutes d’image vidéo ou du son, les journalistes acceptent ce procédé humiliant… Un d’eux immortalise ce grand moment et on en profite, atterré. Le programme de Sarkozy pour les médias réside dans cette anecdote. Couvrir sa geste. Les gens branchés appellent ça storytelling, en langage commun on appelle ça propagande.
Et le ministère de la propagande…
Thierry Saussez. La voix de son maître et même plus. Inventif, bourré d’imagination, il fait parti des mecs performants qui alimentent le pouvoir ventriloque.
Selon son site internet aussi sobre qu’efficace, voilà ce qu’on sait de son rôle :
Le délégué interministériel doit être "tenu informé des projets de communication" des membres du Gouvernement. Il en "suivra la préparation et la mise en oeuvre" et en "évaluera l’audience et l’efficacité". Enfin, il "coordonnera les dispositifs d’études d’opinion et de presse mis en oeuvre par les ministères" qui seront tous soumis préalablement à son approbation. Thierry Saussez est fondateur de la société Image et Stratégie Europe spécialisée dans la communication publique et institutionnelle. Parallèlement, Thierry Saussez a été nommé directeur du Service d’information du Gouvernement (SIG).
Bref, il est ministre de la propagande.
Sa dernière idée ?
Une émission de pédagogie sur les réformes. Pour les enfants donc. Diffusée sur un espace préempté sur le service public télévisuel. Ca donne une idée de la manière dont on peut envisager le service public tout là haut. Naturellement, l’idée est tellement conne qu’elle a la durée de vie des paroles qui l’ont annoncées. Envolée. De Guéant à Albanel en passant par Franck Louvrier (la tutelle Elyséenne du ministre de la propagande), on le force à ravaler son chapeau.
… ne lâchera rien, soyez en sûrs
Abandonnée l’idée ? Le message est passé. Le pouvoir veut que les journalistes soient plus positifs sur les sacro-saintes réformes nécessaires qui vont permettre aux griffes du coq France de tenir la dragée haute à la concurrence mondiale ! La preuve, sans les réformes, la France subirait encore plus les effets de la crise ! Et la lune tournerait dans l’autre sens, et les marées inversées auraient accéléré la fonte des ours polaires qui demanderaient par centaines de milliers l’asile climatique, et la WWF visiterait les centres de rétention administrative après avoir répondu positivement à l’appel d’offre de Brice Hortefeux qui veut niquer la Cimade. Vous voulez d’autre preuves de la réussite du Grenelle de l’environnement sans lequel la biodiversité serait aussi atomisée que la finance, hein les ours ? C’est ça la communication, on raconte n’importe quoi avec l’air de dire la vérité.
L’idée n’est pas abandonnée. Avec un budget com’ en augmentation de 292% cette année (passant de 5,7 millions d’euros à 22,4), le SIG ne vas pas se contenter d’envoyer des dépêches à l’AFP et de passer des coups de fils aux stagiaires qui prennent les messages dans les sous-sols des salles de presse. Cette idée peut prendre mille formes. Et on peut faire confiance à l’inventivité du bonhomme et des cerveaux fertiles qui bossent sous ses ordres.
Les rossignols ont-ils une éthique ?
Clearstream qui communique pour dire « La finance, c’est la transparence en acte, la preuve ? La justice nous donne raison contre Monsieur Robert à qui nous n’avons jamais voulu le moindre mal » et le gouvernement qui se dote de moyens considérables pour jouer du violon sur l’air « tout va bien madame la crise » aux journalistes, ça résume la période. Le tout enrobé du murmure des Etats généraux de la Presse, de la fin de la pub sur le service public de l’audiovisuelle qui siffle une mélodie d’indépendance aux oreilles d’un CSA dont la tête finira bien par être nommée directement par l’exécutif…
Faut-il vraiment s’inquiéter de tout ça ? Au-delà l’opération de détournement d’argent public qui consiste à gaver de fric les potes du pouvoir qui dirigent les boîtes de com’ et du fait que personne n’élit des types avec mandat de leur faire prendre des vessies pour les lanternes (on va pas pinailler et passer pour des grincheux, passons, c’est le jeu), les objectifs du SIG sont assez clairs : s’assurer que les médias soient peuplés de rossignols du sarkozysme.
La communication, c’est l’inverse de l’information. Son ennemi, son antimatière, sa négation. Il faut être assez sérieux avec ça. C’est pas parce que les zozos qui sortent des écoles de communication sont des jeunes cools avec des lunettes sympas et des coupes de cheveux branchouilles qu’ils sont de grands démocrates, hein. Communiquer, c’est faire passer sa vérité. Informer, c’est raconter les choses en tentant d’être le moins éloigné possible de la vérité (par nature subjective, tout ça, mais essayer de pas trop raconter de conneries sur les faits quand même). « Cherchez la vérité et la dire », comme le disait le journaliste Jaurès, n’est rien d’autre que l’exigence démocratique qui fonde l’éthique journalistique, non ?
Internet, le bazar démocratique
Internet fait flipper. Les barons de la grande presse sérieuse, responsable, objective et d’opinion le détestent car la liberté d’expression qui y règne les a dépossédés du monopole de la parole publique. Le pouvoir cherche à le réglementer (comprendre régenter). Internet, c’est une bande de « chiens » [1], dixit Philippe Val, qui sauvent la peau de Siné, c’est des vidéos amateurs qui nous livrent régulièrement un Sarkozy insultant le badeau « casse toi pauv’con » ou lui proposant le coup de poing « viens, viens me le dire en face » à un pêcheur qui le houspille. Y’a du bon et du super naze, c’est la société ventriloque qui répond au pouvoir ventriloque, où tout un chacun s’improvise journaliste d’un jour, et ça respire, et le lien de confiance qui se perd là se tisse ici. Pas de panique, les ogres de la com’ ne boufferont pas les enfants de l’Internet. Il paraît même qu’il y a des journalistes pros qui y font un vrai travail d’information, c’est dire…
[1] L’été a été violent. Mais le fait de faire un métier public depuis longtemps, et d’y avoir survécu, ça permet de regarder avec indifférence les chiens déchirer l’image qu’ils ont de vous. » Paris Match du 18 septembre 2008.