Parties de belote aux Baumettes

Les juges marseillais ne font décidément guère d’effort. Sans doute des juges rouges. Le 22 juin dernier, le chiffre est tombé, les prisons françaises n’avaient jamais été aussi peuplées. Et que font les magistrats du Vieux-Port ? Ils sortent leurs gros filets pour envoyer aux Baumettes - la prison marseillaise - tout un wagon de prévenus dans une affaire de trafic de drogues entre la France, l’Espagne et le Maroc. Le jour même ! Si c’est pas du mauvais esprit… Déjà, avec l’affaire du cercle Concorde, l’enquête sur la société de sécurité corse SMS (société méditerranéenne de sécurité) ou les arrestations liées à la tuerie de la brasserie des Marronniers, les enquêteurs avaient bien garni les geôles, situées à deux pas des merveilleuses Calanques.

Voilà que désormais, ils dégainent une « affaire Casanova ». Non feu Richard, considéré comme le chef de file du mythique gang de la brise de mer. Mais, le bien plus respectable Gilbert, fondateur du mouvement pour l’autodétermination (MPA, nationaliste), auto dissous, et un temps président de la chambre de commerce de Corse-du-Sud. Une figure locale, dont le groupe avait l’habitude de taguer les murs de l’île de Beauté avec des « A droga Fora » (NDR : la drogue dehors), mis en examen pour « importation acquisition, détention, transport, offre, cession illicites de stupéfiants, association de malfaiteurs, contrebande », le tout en bande organisé, cela fait mauvais genre.

Dix de der aux Baumettes

© PieR Gajewski

« Les autorités ont fait un "strike médiatique" en interpellant mon client, plaide Maître Garbarini, également un ancien du MPA. Ils ont transformé une affaire trafic de drogue en affaire Casanova. Et ils parlent de flagrant délit, mais le dossier est bien plus ouvert que le parquet ne veut le faire croire ».

À en croire ses conseils, Gilbert était tout simplement au mauvais endroit, au mauvais moment, avec les mauvaises personnes, le 22 juin dernier, douce journée où les gendarmes ont décidé de faire leur cueillette, après six mois d’attente.

Parties de chasse contrariées

Tout a commencé à l’automne dernier par des parties de chasse contrariées dans l’Hérault. Les chasseurs voyaient leur gibier détaler, la faute à des atterrissages intempestifs d’hélicoptères, d’où des « individus parlant avec un fort accent corse » déchargeaient des ballots, et les enfournaient dans des véhicules, selon la technique de « la doublette » (NDR : une technique de convoyage).

Sitôt prévenus, les gendarmes de l’Hérault ouvrent une information judiciaire au parquet de Béziers, qui se désaississent un peu plus tard, le 27 mars 2008, au profit de la Juridiction interrégionale spécialisée (Jirs) de Marseille.

Le temps pour les pandores, de se transformer «  en feuille », selon l’expression d’un proche du dossier (« et ils adorent ça », précise-t-il), pour observer incognito le ballet des hélicos transportant du cannabis et retracer leur périple entre la Corse, Béziers, l’Espagne et Fès, Nador ou El Hoceima, «  des endroits connus pour être des lieux de production ou de stockage du cannabis », notent finauds les limiers.

La gendarmesque ne tarde pas à retrouver la trace des trafiquants qui jouent aux filles de l’air. La société Corseus Helicopter, propriétaire de l’hélico, est gérée par Jean-Pierre Bernardini, et emploie souvent un pilote du doux nom de Christian Barbera. Pas l’ombre d’un Casanova alors, si ce n’est sur… les écoutes téléphoniques.

Une compilations de hasards malheureux

Bernardini, Casanova et Barbera y apparaissent en affaire. Gilbert achète en effet des réservoirs pour accroître l’autonomie des machines. Pas criminel mais suspect pour un pandore. D’autant que Gilbert, d’après ses avocats, cherche à s’implanter au Maroc, et y remporter un marché de dépollution du port… Hasard malheureux retenu à charge.

Comble de malchance pour Casanova, le 22 juin, Bernadini et Barbera font une petite livraison de 565 kg de cannabis sur le terrain de chasse habituel, avant de le rejoindre à l’aéroport de Béziers. Après avoir alpagué les dénommés Ettori et Bacchiolelli, qui ont chargé le colis dans leur voiture, les pandores décident de faire un tour à Béziers, finir leur moisson…Et cueillent Casanova, Bernardini, Barbera et un Italien, Valter Vianello, en affaires avec Casanova, et rapidement mis hors de cause.

Et c’est là que ça coinche…

« Étonnant quand même, Vianello, qui donne exactement les mêmes explications que mon client est relâché, quand Gilbert Casanova est mis sous mandat de dépôt », pointe railleur, Maître Garbarini. Un conseil pas vraiment déboussolé par l’arrêt de la chambre d’instruction d’Aix du 16 juillet dernier, qui a confirmé le maintien à l’ombre de son client. « La décision ne présage pas de sa culpabilité, elle précise seulement que la détention est nécessaire à l’établissement clair des faits et des responsabilités ».

Certes. Au moins Casanova n’aura-t-il pas le temps de s’ennuyer en prison. Entre Roland Cassone, supposé grand parrain de Marseille, Jean-François Fédérici et Jacques Butafoghi, membres influents de la bande des bergers braqueurs de Venzolasca, tous trois détenus dans l’affaire du Cercle Concorde dossier du cercle, et le menu fretin des affaires de la SMS ou de la tuerie des Marronniers,« il ne manquera pas de partenaires pour la belote », se réjouit un proche.

Et si c’était la volonté des juges marseillais, organiser des tournois de contrée aux Baumettes ?

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