Les records récents des nageurs nouveau style soulèvent toujours de nombreuses questions. Après l’asthme fatal, l’expert de « Bakchich », Jean-Pierre Mondenard, médecin du sport et auteur du « Dictionnaire du dopage » passe en revue les dernières évolutions techniques qui ne cessent de faire des vagues. Le high-tech a investi le monde de la natation. Fini le triptyque « maillot-bonnet-lunettes ». Désormais, les combinaisons intégrales habillent les nageurs, tel Alain Bernard, nouvelle mascotte française.
Depuis le 1er janvier 2008, pas moins de dix-huit records du monde ont été améliorés, tous par des femmes, mis à part ceux d’Alain Bernard et de Eamon Sullivan. Quel est l’élément responsable de ce boum fantastique ? Pourquoi concerne-t-il plus particulièrement les ondines ? Comment est-il possible de battre encore et toujours des records jugés extraordinaires ?
Améliorations techniques, méthodes d’entraînement et de préparation, modifications biomorphologiques, matériel high-tech, sélection à partir d’une population plus nombreuse et en meilleure santé, aspects psychologiques et drogues sont les sept paramètres intervenant dans la progression constante des records. Je vais en aborder trois des plus significatifs.
Au milieu des années 1920, à l’époque des Jeux olympiques de Paris (1924) et d’Amsterdam (1928), Johnny Weissmuller, le futur Tarzan des écrans, mais aussi double champion du 100 m, nageait à l’entraînement pas plus d’un mile (1,6 km) quotidiennement. Aujourd’hui, les meilleurs sur 100 m font entre 10 et 15 km par jour. Laure Manaudou, la championne olympique du 400 m est au régime quotidien de 15 à 17 km.
La croissance et la puberté sont aujourd’hui plus précoces et la population gagne en taille. Un homme du XXIème siècle n’entre pas dans les armures des cavaliers de 1515, ceux de Marignan. Cette taille moyenne augmente de décennie en décennie. En France, elle était de 1,65 mètre en 1880 et 1,74 mètre en 1980. Aujourd’hui, lors d’une finale du 100 m nage libre, les huit qualifiés ont une taille supérieure à 1,90 m (avec 1,86 m, l’Italien Filippo Magnini est une exception mais 1,96 m pour Alain Bernard, 1,92 m pour Peter Van Den Hoogenband, 1,91 m pour Stefan Nystrand).
Ce simple paramètre, qui concerne également les femmes (1,80 m pour Laure Manaudou ; 1,76 m pour sa rivale Federica Pellegrini) montre bien que les performances maximales iront toujours en progressant, même sans dopage. Du moins tant que l‘humanité ne cessera de grandir.
Le nageur de l’an 2008 ne plonge plus dans la piscine que couvert du torse aux chevilles. Equipé de nouvelles combinaisons qui devraient habiller la plupart des nageurs aux prochains Jeux olympiques de Pékin. Avec la combinaison-record LZR Racer de l’équipementier australien Speedo (voir la vidéo ci-dessous), le corps est bien gainé, plus rectiligne, mieux profilé dans la coulée. Le tissu sans couture, assemblé par ultrasons, s’oppose aux turbulences de l’eau au contact du corps, ce qui fait que ce dernier y glisse plus facilement. Il n’y a pas d’effet parasite entre l’athlète et son élément.
Selon Philippe Hellard, le responsable du département recherche de la Fédération française de natation, la flottabilité est améliorée par la nouvelle combine de Speedo : « On est probablement à 0,8% de bonus, il est difficile de l’évaluer précisément. En revanche, un petit gain de cette nature peut faire la différence de deux, voire trois dixièmes de seconde au moment de l’arrivée. Et aujourd’hui, trois dixièmes, c’est la durée qui départage de 4 à 6 nageurs sur une finale olympique ».
Déjà, au moment des Jeux de Sydney en 2000, Alexandre Popov – quadruple champion olympique aux 50 et 100 m en 1992 et 1996 – le dernier des tsars en slip de bain, expliquait à propos de la première génération des combinaisons apparues en 1998, qu’il n’y avait pas photo entre les chronos avec slip et ceux accomplis en combinaison high-tech. Cet ultime poilu de la génération des maillots de plage n’hésitait pas à tailler un costard au nouveau as de la « combi » :
« Le sport est de plus en plus pris en otage par la technologie. Désormais, c’est souvent elle qui fait la différence au plus haut niveau ! Il y a encore un peu plus d’un an, avant la mise en circulation des premières combinaisons, la natation se cristallisait autour de l’entraînement et de la technique. Un nageur ordinaire a donc beaucoup à gagner avec ces “combis”. Tous les participants aux jeux de Sydney les ont d’ailleurs adoptées. Et cela a l’air de leur réussir ! Sur un corps mou, la combinaison maintient les abdominaux et place les hanches bien haut sur l’eau. C’est le principe du spaghetti bouilli ; essayez de faire flotter un spaghetti bouilli ! Il coule à pic… Eh bien, la combi apporte la rigidité et la flottaison que peut avoir un spaghetti cru dans l’eau. A l’arrivée, cela fait une sacrée différence ! »
Il y va fort le mangeur de caviar ! Comparer un homme grenouille à un spaghetti bouilli !
Les premières combinaisons apparues dans les bassins en 1999-2000 étaient déjà à la pointe du progrès. S’inspirant, selon son fabriquant australien, directement de la peau de requin, cette combinaison Fastskin habillait alors la plupart des nageurs des JO de Sydney.
Cette combinaison est à deux chiffres. D’abord le tissu innove en reproduisant les stries en V qui créent de petits tourbillons. Puis, une empreinte de résine en forme de denticule provoquait de grands tourbillons. Ces deux courants attirant l’eau plus près du corps, ce qui, nous l’avons dit, favorise la glisse. Compliqué de faire simple. Speedo affirmait alors que la Fastskin était 7,5% plus rapide que tous les autres « maillots ».
De son côté, dans cette guerre des seconde peau, Adidas habillait le champion Ian Thorpe de son « Full bodysuit ». On parlait là d’un gain de 7 centièmes de seconde sur 100 mètres. D’autres experts évaluaient qu’en une minute de nage, des vêtements comme ceux-ci économisaient deux mouvements.
Aujourd’hui, alors que la combinaison-record LZR Racer est incontestablement un avantage par rapport à la « Fastskin 1999 », puisque sur les 18 records du monde améliorés récemment, 17 l’ont été avec cette Speedo 2008 , certains compétiteurs ont poussé le vice – c’est humain - à minimiser les exceptionnelles qualités de glisse et de flottabilité de leur nouvel outil. Le but de ces cachottiers est de dire : « c’est moi, et non la combinaison, qui va plus vite ».
Un jour ils chausseront des palmes et diront : « Ca ne sert à rien… ». Un exemple : l’un des candidats au podium de Pékin, le Suédois Stefan Nystrand, nous dit sans que son nez ne s’allonge : « Contrairement à ce que certains ont prétendu, les combinaisons ne sont pas la principale raison des récentes performances. Si les nageurs avaient utilisé la précédente, ça aurait abouti à peu près au même résultat ».
Nous disions que, sur les 18 records, 17 l’ont été par des porteurs de Speedo et que l’on trouve 13 filles dans ce grand bain. Et ces dernières bénéficient encore plus de l’effet « combi » que leurs homologues masculins. En effet, ce vêtement aquatique joue l’effet d’une gaine minceur pour les enrobées, « effaçant » les seins et en écrasant les hanches, comme chacun sait plus développées chez la femme. Le profil de nos Eve est ainsi plus hydrodynamique et la nageuse plus performante. Prions pour que le retour de la gaine s’arrête aux vestiaires des naïades !
A propos du maillot de bain, l’Australienne Dawn Fraser, la triple championne olympique du 100 m nage libre (1956-1960-1964), donc une experte, signale qu’entre le milieu des années 1950 et 1964, les recherches des fabricants ont permis de réduire le poids des costumes de bain mouillés de 2,5 kg à 500 grammes. Et que, durant cette même période le record féminin du 100 mètres s’est amélioré de près de six secondes. Si vous n’avancez pas dans la piscine, au lieu de vous précipiter sur l’armoire à pharmacie, pesez d’abord votre maillot.
En 1990, les maillots de bain ont subi une autre avancée technologique en étant confectionnés dans un tissu synthétique ultra léger et imperméable (72% de nylon, 28% de spandex). Des tests ont permis de quantifier l’avantage par rapport aux maillots classiques : trois dixièmes de secondes sur 100 yards. Mais l’aménagement des piscines, lors des compétitions, joue aussi un rôle dans la chute des records.
En 1996, à Atlanta, la piscine olympique était équipée d’un système électronique de pompage limitant les vagues des compétiteurs. Récemment, deux lignes d’eau libres ont été ajoutées pour encadrer les huit réservées à la compétition. Justement pour limiter ces vagues qui transforment la piscine en aire de surf. L’utilisation de lignes d’eau inoccupées a fait son apparition en 1990 quand Tom Jager battit le record du monde du 50 m après un duel avec son compatriote Matt Biondi, dans leurs bras de fer, les deux américains étaient séparés par une ligne d’eau.
De même, Alexandre Popov, lors de son record du monde sur la même distance le 16 juin 2000 à Moscou, avait imposé aux organisateurs qu’aucun de ses adversaires n’occupe les lignes n° 3 et n° 5 encadrant « sa » ligne, la n° 4. L’argumentation du Russe était la suivante : « S’ils restent collés derrière mon sillage, même à une demi-longueur, leur présence me freinera ».
Dès la fin des années 60, l’eau des bassins olympiques est additionnée de sel afin de mieux porter les nageurs et de substances chimiques pour la rendre plus glissante. A Pékin, tous les nageurs – hommes et femmes – seront rasés et, pour certains hommes, de la tête aux pieds. Il a été démontré qu’un nageur glabre bénéficiait d’un avantage de 0,6% sur un adversaire non rasé.
Mais cette pratique n’est pas une innovation, elle remonte à une cinquantaine d’années. Dès l’an 2000 – il y a déjà 8 ans – notre dernier mohican de la natation de haut niveau en slip de bain, Alexandre Popov, pointait du doigt la dérive technologique de son sport. Décidément un râleur : « Si j’avais fait l’impasse sur la compétition pendant ces dernières quatre années, j’aurais eu du mal à reconnaître mon sport aux Jeux. La technologie est partout ! Rares sont les nageurs qui évoluent sans combinaison intégrale. Je ne crois pas que la natation ait beaucoup à gagner avec leur apparition. Cependant, les dirigeants de la Fédération internationale l’ont autorisé. La natation était pourtant l’un des derniers bastions à ne pas être pollué par la technologie ». Réveille toi, Popov, le mur est tombé.
En vieil observateur du sport, mettons en garde les dirigeants de la Fédération internationale de natation (FINA) de ne pas être obligés, comme ceux de l’Union cycliste internationale à propos du record de l’heure, d’avoir à faire un retour en arrière de 22 ans en supprimant les records établis avec des machines innovantes.
Il est clair que les conditions de course en piscine évoluant en permanence, on ne doit plus parler de record du monde mais de meilleure performance mondiale du moment. Alain Bernard avec sa combi « excès de vitesse » n’a, en réalité, pas battu les temps d’Alexandre Popov vêtu de ses poils rasés et de son seul slip de bain.
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Et pour vous détendre, vous pouvez regarder cette vidéo compil
Bonsoir Merci pour vos articles toujours bien documentés. J’ai fait un petit billet pas sérieux sur ce "grand" sujet dans l’Amusoire. ll pourrait figurer au guichet des Posts. Il y est aussi question de combinaison
Bien à vous
Filou de l’Amusoire