La Cinémathèque Française revient jusqu’au 19 mai prochain sur l’oeuvre de Mario Monicelli, inventeur de la nouvelle comédie italienne, auteur de près de soixante films structurant et définitif pour l’histoire du cinéma transalpin. « Bakchich » vous explique pourquoi.
Rome. Coincé au fond de sa limousine, un aristocrate snobinard se rend à une réunion au Vatican. Sur le trajet, il croise un homme en sang, sort de sa bulle et il décide de lui porter secours. Mais après plusieurs tentatives infructueuses (d’hôpitaux bondés en couvents frileux, pas de place pour la victime), l’heure passe et, de peur de manquer son rendez-vous, notre bon sauveur redépose le blessé là où il l’avait trouvé.
C’est l’un des sketchs les plus célèbres, les plus cruels aussi, des Nouveaux Monstres, feu d’artifice parmi d’autres d’un film co-réalisé en 1978 par l’immense Mario Monicelli, l’un des trois papes de la comédie à l’italienne avec Dino Risi et Ettore Scola.
Jusqu’au 19 mai 2008 prochain, la Cinémathèque Française rend hommage au grand Mario, soit l’occasion de revoir soixante joyaux du genre parmi lesquels Toto cherche un appartement (du néo-réalisme terrible déguisé en farce), La Grande guerre (l’une des critiques terminales de la guerre et de son exploitation des petites gens dont Leone se souviendra en tournant Il était une fois la révolution), Mes Chers amis, L’Armée Brancaleone, le formidable Gendarmes et voleurs, Un bourgeois tout petit, petit et bien sûr Le Pigeon, clé de voûte et coup d’envoi de la comédie italienne des années soixante dix.
Nous sommes en 1958 et Monicelli filme aussi le passage de relais entre deux générations : celle de Toto, statut du commandeur comique du cinéma transalpin des années 30 et 40 et version moderne de Polichinelle, et celle des Gassman, Sordi, Salvatori et autres Tognazzi.
Prenant à contre-pied ces films de gangsters hyper sérieux, avec cambrioleurs professionnels et costards gris foncés (Du Rififi chez les hommes), Monicellli invente aussi le film de casse moderne, celui qui raconte comment on n’y arrive pas. Bifurcation célèbre lorsque Gassman et sa bande de bras cassés, à deux doigts du butin, se détournent de leur objectif vers une marmite appétissante. Tout Monicelli est là : après la fiction de la richesse implantée dans les esprits par le cinéma hollywoodien, le fantasme d’une petite fortune facilement acquise, nos pauvres désespérés reviennent à la réalité de leur condition et s’enfilent ensemble un bon plat de pâtes. C’est toujours ça de pris. Mieux que rien, mais pas grand chose, on a les désirs qu’on peut.
Revoir aujourd’hui les films intacts de Monicelli, c’est constater combien ce sens de la dérision et de la moquerie vacharde, cette forme d’ironie décapante et profondément irrévérencieuse qui ignore tous les tabous (et qui n’a rien à voir avec le politiquement incorrect, forme ultime et perverse d’une contestation confortable et consensuelle), cette volonté pirandellienne d’envisager toutes les facettes des individus en se plaçant toujours de leur côté s’est perdue. En Italie bien sûr, à l’exception de certains films de Moretti (lorsqu’il abandonne sa position de surplomb) mais aussi en France.
Les grands films de Monicelli ont plus de trente ans, mais ils semblent appartenir à un horizon critique que l’on aurait pas encore atteint. Contre toute attente, ce sera le cinéma américain qui, à sa manière, saura reprendre la ligne de la comédie italienne des années soixante et soixante-dix.
Citons en vrac : Dennis Hopper prenant comme modèle de Easy Rider, Le Fanfaron de Risi, les comédies des frères Farrelly, Les Quatre malfrats de Peter Yates ou encore Têtes vides cherchent coffres pleins de William Friedkin, deux films ouvertement « pigeonnesques ».
Pour déguster un passage du Pigeon (1958), l’un des chefs-d’oeuvre de Monicelli, voir la vidéo ci-dessous