Sur France-Inter, l’émission "Les P’tits Bateaux" répond aux questions d’actualité des enfants. L’autre dimanche, c’était une question sur les riches. Et la réponse vaut son pesant de lingots.
« Pourquoi y-a-t-il des gens riches et des gens pauvres ? », Hortense a 9 ans et fait confiance à France-Inter. Elle a enregistré sa question sur le répondeur des "P’tits Bateaux" de Noëlle Bréham. Et, elle a raison Hortense, généralement les réponses de cette émission sont d’une très bonne tenue. Sauf que là…
Dimanche dernier, c’est Daniel Cohen qui va répondre du haut de son titre de professeur à l’École Normale Supérieure :
« Si on avait posé la question il a un siècle,… la réponse aurait été très simple, il y a des riches parce que les parents des riches étaient très riches, … Y’a un siècle, au début du XXe siècle les gens étaient riches parce qu’ils avaient hérité de beaucoup d’argent quelle que soit leur qualité propre ; aujourd’hui ce n’est plus exactement comme ça, les gens sont riches parce qu’ils gagnent beaucoup d’argent en travaillant… ».
Que se passe-t-il à France- Inter pour que l’on ose diffuser de telles contre-vérités ? Selon Challenges, parmi les dix plus grosses fortunes de France, plus de huit sont des héritiers. Madame Bettencourt n’a jamais dû travailler de sa vie, Bernard Arnault a su faire prospérer la fortune de son père, Gérard Mulliez, le patron d’Auchan, idem… Mais pas la peine de lire Challenges ni Les Echos pour comprendre de telles évidences.
Pour être riche il vaut mieux avoir hérité d’un cent mètres carrés à Paris, ou d’une maison à l’Ile de Ré, que d’être cadre même dans une multinationale. Au début du XXIe siècle, la richesse est une question de patrimoine, de stock-options, de biens immobiliers, d’héritage. L’Insee le dit, qui se trompe rarement.
Pourquoi cet homme nous tient-il de tels propos, pour nous mener en p’tits bateaux, par peur de la révolte qui gronde, pour faire plaisir à son employeur la banque Lazard (un métier dont notre star des médias ne se vante jamais, que seul feu Le Plan B, et Le Monde Diplomatique rappellent à ses lecteurs), ou seulement par incompétence ?
A vous de choisir. Et dans le doute, posez donc la question au répondeur des P’tits Bateaux.
Waouh, nous revoilà au vieux temps de la lutte des classes. Sans doute pour pleurer la mort tardivement annoncée de Robert Barcia, alias "Hardy", inspirateur et dirigeant de Lutte Ouvrière…
La richesse est-elle transmissible comme un virus, tel est le lourd débat révolutionnaire ?
Il y a une sorte de mépris dans ce coup de gueule qui comprend des attaques gratuites comme "Madame Bettencourt n’a jamais dû travailler de sa vie." Qu’en sait-on ? Qu’elle n’en ait pas eu besoin pour survivre est une chose, mais le reste est une supposition qui reste d’ailleurs à démontrer puisqu’on peut être riche et actif comme on peut être pauvre et paresseux et inversement.
Au-delà de ça, il y a une remise en question qui pourrait faire l’objet d’une recherche approfondie sur la transmission de la richesse. La liste des "200 familles" établie en 1936 est-elle toujours d’actualité ? Celle encore plus ancienne des "200 familles" du Second Empire a-t-elle survécu ? Et dans quelle proportion ?
Notre société fait naître des fortunes nouvelles. Les fortunes liées à la révolution technologique ne sont pas des "héritières" (Xavier Niel, heureux fondateur de Free qui me semble avoir investi quelques euros dans Bakchich, serait déçu d’être traité de sale bourgeois né dans un bol de vermeil). Il n’y a donc pas absence totale d’échelle sociale. C’était d’ailleurs la même chose au XIXe siècle, n’en déplaise à Daniel Cohen, puisque la plupart des riches familles du textile étaient des familles nouvelles.
Il n’en demeure pas moins qu’une certaine reproduction sociale existe et qu’une fortune ne part pas en fumée en quelques années. Alors oui, les enfants des très riches sont très riches mais pas forcément sur plusieurs générations. Et puis, la richesse n’est pas issue uniquement d’une richesse matérielle. Les familles reproduisent aussi, ou transmettent, un savoir culturel important qui manque souvent à ceux qui sont moins favorisés.
Une fois qu’on a dit que les enfants de riches avaient un avantage certain, on peut s’écrier : so what ? Car finalement la transmission sociale, culturelle, affective sera toujours présente. Elle existait d’ailleurs en Union Soviétique où la "banque Lazard" n’existait pas…
Par ailleurs, dans un commentaire, Phil parle de la révolution Française. A-t-elle vraiment coupé la tête des riches ? Les bourgeois girondins ou montagnards étaient bien souvent largement plus riches que les aristocrates campagnards. C’est d’ailleurs une des raisons de leur haine…
Un débat plus fin serait celui de l’utilisation de l’argent. Il circulera toujours mais pourrait circuler mieux. Partage des richesses, redistribution, mécénat. Ce débat concerne riches et pauvres. Les pauvres dans toutes les enquêtes n’attendent qu’une chose : devenir riches. Une fois riches, ces anciens pauvres ont un comportement similaire à ceux qu’ils critiquaient.
Dans la haine du riche ou dans son adoration, la question centrale est finalement simple à poser et difficile à entendre : quel est réellement notre rapport à l’argent ?