En réformant le régime des perquisitions de nuit, les lois Sarkozy de 2003 ont plus qu’élargi les compétences policières et leur champ d’action. Petit cas pratique.
« La démocratie, c’est quand on sonne chez vous à six heures du matin… et que c’est le laitier ! » Régulièrement attribuée à Churchill qui ne buvait pourtant pas de lait, cette formule visant à distinguer une démocratie d’un régime policier c’est au journaliste, bien français, Henri Jeanson qu’on la doit.
Elle paraît en tout cas parfaitement coller au fort méconnu article 706-90 du Code de procédure Pénale qui traite des perquisitions et tout spécialement des perquisitions de nuit dans notre beau pays. Le dit amendement fut adopté par le Parlement en 2003 dans le cadre des lois Sarkozy sur la sécurité quotidienne. Il s’agissait alors selon l’honorable Pierre Bédier sous couvert d’une « simplification, toujours gage d’une meilleure application du droit » d’opérer une distinction « bien plus nette » entre le « régime général » et ce « régime plus spécial » des perquisitions de nuit.
L’article 706-90 en question vise à renforcer les moyens d’action de la police dans la lutte qu’elle mène contre « la criminalité organisée », « les questions de terrorisme » et « le trafic de stupéfiants ». Qui diable s’en plaindrait ? Le Sénateur Robert Bret, fut alors l’un des rares à dénoncer « l’enchevêtrement de procédures dérogatoires au droit commun » et à prophétiser que sur la base d’une simple présomption les services de police seraient désormais habilités à perquisitionner où bon leur semble à toute heure de la nuit. Et de décrypter ainsi le nouvel article à ses collègues du Sénat : « Autrement dit, si une infraction est commise dans un appartement situé dans un immeuble, par exemple un trafic de stupéfiants, il sera possible de perquisitionner chez les voisins, sans leur assentiment au motif que les « nécessités de l’enquête » l’exigent ».
Pourtant un dossier de proxénétisme qui doit être jugé par la Cour d’Appel de Paris en mai prochain montre que notre sénateur avait visé juste et que désormais la perquisition de nuit est entrée -sans restriction- dans les mœurs.
L’affaire remonte à novembre 2005 avec l’ouverture d’une enquête préliminaire visant à démanteler un réseau de prostitution organisé à partit d’un bar parisien de la rue de Ponthieu, « chez Tania » [1]. Sur le papier, les faits instruits par le juge Pierre Dubois sont impressionnants : « proxénétisme hôtelier, proxénétisme aggravé, blanchiment, abus de biens sociaux ». Au détail près que « chez Tania » et son « cadre raffiné » est un bar à hôtesses comme il en existe plusieurs dizaines dans le quartier, et qu’il a pignon sur rue depuis 1966 ! Il faudra donc patienter jusqu’ à 2005 pour qu’un « renseignement anonyme » vienne éclairer la police des services coupables qui y sont rendus depuis 40 ans. Mieux informée, la clientèle sait elle, qu’au terme de deux bouteilles de champagnes facturées au prix fort (1400 euros selon la police) elle aura la possibilité de poursuivre – à l’extérieur - la discussion engagée avec les accortes jeunes femmes qui fréquentent l’établissement. Et beaucoup plus si affinités…
C’est donc sur la base de cette découverte qu’un « minutieux dispositif de surveillance » incluant écoutes téléphoniques, surveillances vidéos, filatures multiples, est mis en place de juillet 2005 à janvier 2006 autour de « chez Tania ». Dès juillet ça sent le souffre et un fonctionnaire tapi dans l’ombre de la rue de Ponthieu relève ainsi l’arrivée à 20h45 « d’une jeune femme, de taille moyenne, tout de rose vêtue ». Celle-ci « ressortira peu avant minuit en compagnie d’un homme vêtu d’un costume gris et, ensemble, main dans la main, se rendront nonchalamment à l’hôtel California où ils arriveront vers minuit 15 ».
Un autre jour c’est une « femme à lunettes », et « paraissant la cinquantaine » qui retient l’attention des hommes de la Brif [2]. L’ enquête permet de confirmer que « chez Tania » est bien fréquenté par des jeunes ou moins jeunes femmes d’origine russe et d’autre part par une clientèle d’hommes d’affaires en goguette. Un chauffeur de taxi est surpris à lancer aux clients qu’il vient de déposer devant l’établissement un « amusez-vous bien ! ». Tant de jovialité n’étant guère dans les mœurs de cette profession, le propos est aussitôt consigné sur Procès-Verbal.
Arrivés séparément, clients et hôtesses quittent bien souvent ensemble l’établissement pour rallier un hôtel du quartier. Si Paris confirme là sa position de capitale de l’amour, les limiers de la Brif, mauvais coucheurs, constatent que, chemin faisant, avant d’atteindre le septième ciel, l’homme marque fréquemment une brève halte au distributeur.
Il faut patienter jusqu’à la nuit du 10 au 11 janvier 2006 pour vivre le dénouement de cette longue traque. Plus d’une quinzaine de policiers sont sur le pont. Une filature les conduit à suivre d’une part, deux hommes et une jeune femme qui s’engouffrent à 23h45 dans un taxi à destination de l’Hollyday Inn République et d’autre part deux jeunes femmes et un homme qui prennent eux la direction de l’hôtel Ambassador. Ne voyant pas ces derniers ressortir, les policiers, après avoir patienté jusqu’ à 2h15 n’hésitent pas à tirer le juge de son sommeil. Au regard de « l’urgence » le magistrat délivre alors par fax et « de son domicile » une autorisation de perquisition de nuit valable donc pour tout l’hôtel. Une chambre d’hôtel est considérée comme un domicile privé.
Il est 02h25 lorsque les policiers « après avoir scindé notre dispositif en deux » foncent vers les deux chambres suspectes : 254 et 319.
C’est à la 319 que ça se passe : « après plusieurs appels répétés, la porte nous est ouverte par un homme vêtu uniquement d’un caleçon et présentant les signes manifestes d’une érection. Constatons derrière lui la présence d’une jeune femme, blonde, de type slave (…) qui se rhabille d’un peignoir précipitamment ». La lecture du PV nous informe encore qu’après avoir été « palpée par mesure de sécurité par un brigadier-Major » la jeune femme est « invitée à se rhabiller… » On n’est jamais trop prudent !
À l’autre bout de Paris, à l’Hollyday Inn République, la seconde équipe est également passée à l’action. Avec le même succès. C’est ainsi qu’à 01h00 : « pénétrons par surprise dans la chambre tout en annonçant nos qualités et en présentant nos cartes de service et découvrons la jeune femme assise sur le living, les seins à l’air et vêtue d’un slip noir. Elle tient dans sa main droite 6 billets de 50 euros qu’elle s’apprête à ranger dans son sac à main. Sur le lit se trouvent les 2 hommes, torse nu et en caleçon » . On s’y croirait ! C’est ce qui s’appelle tomber à pic. Tout ce joli monde est embarqué au commissariat. Ils auraient pu être bien plus nombreux. En effet dans le cadre de cette opération contre le « crime organisé » le magistrat avait délivré une ordonnance autorisant les perquisitions de nuit dans une demi-douzaine d’autres hôtels de la capitale. Soit : Hôtel d’Angleterre-Champs Élysées, Hôtel California, Hôtel Scribe, Hôtel Jolly, Hôtel Hilton, Hôtel Sofitel. Un « mandat » valable pour plus d’un millier de chambres. Peut-être un peu beaucoup pour coffrer deux belles de nuit dans une affaire incontestable de prostitution mais où il n’y a ni violence, pas de mineures, pas de racolage sur la voie publique et aucun plaignant !
Morale de l’histoire ? Les sénateurs ne sont pas tous gâteux.
[1] L’établissement a changé de propriétaire. On peut s’y rendre sans finir au poste…
[2] Brigade de recherches et d’investigations financières.