Ces Burkinabés partis vivre le rêve ivoirien… et qui se retrouvent le cul entre deux chaises.
Au pays des hommes intègres, pas une famille qui n’ait un proche parti travailler chez le voisin ivoirien. Depuis l’éclatement en septembre 2002 de l’inextinguible crise ivoirienne, une partie des émigrés s’est empressée de rentrer au bercail. Terrassés par les lynchages et autres turpitudes, « les assaillants », comme les appellent non sans mépris les Ivoiriens, ont laissé derrière eux leurs biens et leurs salaires impayés, leurs amis et les ennemis.
Si cinq années se sont écoulées depuis son retour forcé, Adoma Baye en garde un souvenir amer et pâtit d’une réintégration sans complaisance. Ce quinqua vigoureux au visage creusé par l’éreintant labeur dans les champs de café ivoirien peine à s’en remettre. « J’ai tout perdu : ma parcelle, mes économies, mes repères… mais surtout, j’ai perdu l’un de mes deux pays. Et je n’arrive pas à me reconvertir car, en ville il n’y a pas de travail », se lamente-t-il autour d’une bibine. Echoué à Ouagadougou, il « stagne », comme il dit, en enchaînant les petits boulots qu’on daigne lui proposer. Et peine à ramener les pépètes pour la mama et les six chérubins. Sa vie suinte la galère et l’indigence, aux antipodes du confort de vie ivoirien d’antan. Ah la la… le bon vieux temps où Côte d’Ivoire rimait avec « terre promise » est révolu. Pour nombre d’émigrés burkinabés, l’eldorado ivoirien s’est transformé en calvaire. Comme lui, ils sont près de 600 000 à avoir pris la poudre d’escampette. Considérés comme Burkinabé au Royaume de Gbagbo, ils se retrouvent étiquetés Ivoirien au pays de Sa Majesté Compaoré qui, depuis son château ouagalais se complaît à exacerber la mise au ban de ses sujets revenus à l’étranger.
En vingt années de pouvoir, il s’est toujours montré sourd aux revendications des émigrés. Privés de vote, coupés de la vie politique du pays, ceux-ci se retrouvent spoliés de leurs droits élémentaires de citoyens. Le popotin entre deux pays. « Près de trois millions de compatriotes demeurent toujours en Côte d’Ivoire mais ils sont des invisibles et des muets politiques. Ils n’ont aucune tribune pour s’exprimer et ne peuvent pas voter. Ce que vit un Burkinabé en Côte d’Ivoire, aucun Africain ne le vit en Europe », fustige le Professeur de lettres modernes Albert Ouedraogo. Président de l’association « Tocsin », il milite depuis 1997 pour la reconnaissance des droits des citoyens de l’extérieur. Toutefois, « vu que le gouvernement ne maîtrise pas ce vote, ils en ont peur et font tout pour l’étouffer », analyse un journaliste local.
Si les vieux agriculteurs paient le prix fort de ce retour, les jeunes eux, sortent renforcés de leurs péripéties ivoiriennes. Les marmots des émigrés burkinabés, communément appelés les « diaspos », jouissent d’une réputation de subversifs dynamiques et innovants. « Nous, les diaspos avons un truc particulier qui fait la différence. Nous avons été obligés de se battre plus que les autres pour s’en sortir », se vante allégrement Amidou, entouré de sa bande. Sapés à l’américaine, bling-bling en toc, grande gueule à la tchatche affutée, ils revendiquent fièrement leur identité de diaspo, un terme initialement péjoratif. « Ils ont un choc dans leur être dont ils ont su tirer profit. Ils n’ont pas froid aux yeux et foncent. À l’université, ils se fichent d’être mal-vus des autres qui sont jaloux et parfois haineux à leur encontre. Ils osent, sont audacieux et bénéficient de la formation solide de la fac d’Abidjan des années 80-90 », raconte le professeur Ouedraogo. Cela fait une dizaine d’années que les enfants issus de la diaspo raflent les jobs dans l’administration, inondent le secteur privé et irriguent les médias de leur volubilité fantaisiste.
Depuis le retour progressif au calme en terre ivoirienne, dans les bars à bière de Ouagadougou, les palabres évoquent régulièrement les « vaillants » ou « courageux ». Cette appellation, flatteuse au premier abord, désigne en fait les vieux qui repartent en Côte d’Ivoire pour récupérer leurs biens et tenter d’arracher à leurs patrons les salaires impayés. Issa Ouattara y songe de plus en plus et attend de rassembler les 20 000 FCFA du voyage (30 euros). Il entend bien se faire payer les deux ans de salaire manquants à 10 000 FCFA (15 euros) le mois. En attendant de prendre la route, il distille ses histoires dans les bars autour de whisky frelaté bon marché. Il le sait mais refuse de l’admettre, parmi ceux qui repartent, beaucoup ne reviennent pas.