La petite histoire des « Feymen », les arnaqueurs camerounais qui font croire à leurs « Mogous » qu’ils multiplient les billets ou refilent des « produits magiques ».
« Je n’avais jamais vu le monsieur mais c’était un ami d’un couple camerounais que je connais bien. On a sympathisé et il m’a proposée de m’associer dans une “affaire” ». C’est une jeune expatriée allemande en poste à Yaoundé qui raconte l’aventure. « Ancien de la Banque Centrale Suisse, il sait comment on fabrique les billets de banque, poursuit-elle mi-figue mi-raisin. Il peut fabriquer des vrais billets ! Il voulait que je l’aide à écouler ses euros ! ». Flairant le mauvais coup, la donzelle a poliment refusé. Craignant de compromettre ses amis, elle hésite aujourd’hui à « prévenir Interpol »…
Ce qu’il y a d’étonnant dans l’anecdote n’est pas tant le fond de l’histoire que d’apprendre que la légende de la « multiplication des billets » circule encore. Car l’arnaque, mille fois décrite dans la presse camerounaise, est connue depuis des lustres.
Depuis le début des années 1990, pour être précis, à l’époque où le Cameroun découvrait un phénomène qui lui collera longtemps à la peau : la feymania.
Si les sociologues débattent encore sur l’origine exacte et sur la définition à donner à cette pratique (consistant, pour faire vite, à escroquer un pigeon en lui proposant toutes sortes de solutions miracles), tout le monde s’accorde pour faire d’un certain Donatien Koagne l’emblème de la feymania des années 1990. Ses mougous – pigeons dans le langage des feymen – s’appelaient à l’époque Mobutu, Compaoré, Sassou ou Eyadema… Les poids-lourds de la Françafrique en somme, auxquels le king « empruntait » des millions de dollars sous prétexte de les « multiplier » [1]. Une entourloupe resservie mille fois, mais toujours avec le même panache, qui tourna mal. Arrêté au Yémen en 1994, le feyman milliardaire s’y fit, dit-on, couper les deux mains [2]…
Les mésaventures du brave Donatien n’ont pourtant pas découragé les très nombreux Camerounais qui rêvent d’argent facile. Hypnotisés par les rappeurs noirs-américains et les légendes hollywoodiennes tombées des satellites, nombreux sont ceux qui se verraient bien, eux aussi, profiter des jets privés et des piscines en marbre que s’offraient, à l’époque, Koagne et ses semblables. Les feymen sont ainsi devenus des modèles flamboyants pour une jeunesse qui ne croit plus aux diplômes sans valeur et aux fausses promesses « démocratiques » [3]. Pourquoi, dans un pays où l’argent est méthodiquement siphonné par une poignée de gérontocrates kleptomanes, faudrait-il « attendre son tour » ou « faire de longues études » ? Mieux vaut directement entuber son prochain !
Certes la « multiplication de billets » n’est plus qu’une vieillerie à l’usage des petites frappes qui jouent les gros caïds [4]. Mais les histoires de feymania continuent d’abreuver une presse camerounaise avide de rocamboles. Un jour c’est un homme d’affaires qui s’est fait refiler – à prix d’or – un produit « magique ». Puis vient le tour d’un chef traditionnel piégé par les mirobolantes promesses d’un soi-disant « émissaire du Président Paul Biya ». Et voilà de faux conférenciers qui allègent les comptes d’une ONG humanitaire de plusieurs millions ! Preuve qu’elle est devenue un phénomène de société, la feymania est le thème du dernier film produit au Cameroun, Emeraudes, qui raconte le piège tendu par des feymen… à un producteur de cinéma [5].
« Quoi qu’on pense d’eux, on est épaté par l’originalité des arnaques qu’ils concoctent », confesse la chercheuse Dominique Malaquais dans une étude pionnière sur le sujet [6]. Car une des astuces des feymen est d’embarquer leurs mougous dans des histoires que ces derniers auront du mal, par la suite, à confesser. Difficile d’avouer qu’on a cherché à s’enrichir illégalement, qu’on a extorqué un diplôme ou une fonction indue, ou même qu’on s’est fait duper par ses « meilleurs amis ». Aussi ne compte-t-on plus, parmi les étudiants, banquiers, proviseurs et autres députés, les victimes de la feymania. Même des prêtres y sont passés ! On comprend aussi pourquoi, après l’arrestation de Donatien Koagne, le carnet dans lequel il notait les noms de ses « associés » fit courir toutes les polices secrètes du monde qui cherchaient à éviter que ne fut entacher la blanche réputation des barons de la mafia françafricaine . Nul besoin, donc, de « prévenir Interpol ».
[1] Il faisait aussi de multiples trafics avec eux.
[2] Sa sœur, Jeanne Magloire, s’est pour sa part fait égorgée en 2005 à son domicile de Yaoundé.
[3] Voir Basile Ndjio, Feymania : New Wealth, Magic Money and Power in Contemporary Cameroon, Proefschrift Universiteit, Amsterdam, 2006.
[4] La chose se pratique maintenant surtout à l’étranger
[5] Le Messager, 11 septembre 2006 ; La Nouvelle Expression, 31 septembre 2006.
[6] Dominique Malaquais, Anatomie d’une arnaque : feymen et feymania au Cameroun , Les études du CERI, n°77, juin 2001