Pour défendre le dogme libéral, Libération vient de mettre en accusation MEL (Michel Edouard Leclerc). Dans « l’hyper-bonimenteur » du jeudi 5 juin 2008, le quotidien lui reproche de défendre la « concurrence à la sauce Leclerc ». En effet, le groupe d’hypermarchés souhaite plus de liberté pour pouvoir négocier avec ses fournisseurs, pour les saigner un peu plus, mais n’envisage pas que ses magasins puissent être mis en concurrence.
L’article est violent, il a l’aplomb de nombreuses législations des technocrates européens. Car personne ne peut l’ignorer, le libéralisme et l’économie de marché vont sauver la planète. Ce discours a la force de la rationalité : « Regardez les modèles, ça va fonctionner, à terme, tout le monde va en profiter. Les rentes vont disparaître. Les profits vont se réduire. Vous ne nous croyez pas. Attendez et vous verrez ». Et fort de cette injonction, qui est au cœur du discours libéral, la litanie continue et s’adapte en permanence. Face aux délocalisations, la réponse est simple : « le pouvoir d’achat des Chinois et des Indiens va augmenter, le nôtre va en valeur relative diminuer (mais personne ne s’en apercevra), mais à terme les marchés se stabiliseront. C’est évident. Peut-être même qu’un jour nous pourrons réimplanter, chez nous, des industries de main d’œuvre ». Les statistiques ont beau enregistrer contre toute attente, que les profits des entreprises augmentent, que les inégalités se creusent et que les crises se succèdent, les nouveaux prêtres nous appellent à la patience. Et pour ceux qui ne veulent pas entendre Pascal Lamy dans le même journal nous rappelle que d’autres choix nous entraîneraient à la guerre.
A force d’écouter ces discours, on ne se demande pas si cette illusion rationnelle n’a pas été inventée, nourrie et surtout utilisée pour d’autres raisons que le bien-être, voire la richesse, des nations et de leurs citoyens. Rares sont les personnes qui se demandent si le libéralisme n’est pas une nouvelle religion. Une religion, qui avec l’onction des mathématiques, aurait été inventée pour apprendre la patience à la très grande majorité des citoyens.
Pendant que les nouveaux convertis prêchent la résignation et le sens du sacrifice. Les anciens profitent de la force du discours pour accroître leurs propres bien-être. Michel Edouard Leclerc se présente comme un « bienfaiteur de la ménagère ». Notre bonimenteur national est donc un vrai libéral. Il ne fait qu’utiliser un principe répété à l’envi par Noam Chomsky, entre autre dans : Le profit avant l’homme. Un discours qui vaut pour tous les libéraux : la concurrence est bénéfique quand elle s’applique aux autres et essentiellement aux fournisseurs et aux salariés et n’est jamais adaptée à leur situation particulière. C’est peut-être comme cela que l’on reconnaît même un vrai libéral, il souhaite plus de concurrence pour les autres.
"C’est peut-être comme cela que l’on reconnaît même un vrai libéral, il souhaite plus de concurrence pour les autres"
Argument le plus stupide jamais lu sur Bakchich (qui baisse en qualite en ce moment). C’est comme si on disait : "C’est peut-etre comme cela que l’on reconnait un vrai socialiste, il souhaite plus de protection sociale pour lui avant les autres", ce qui est aussi stupide.
Ce papier est ridicule de mauvaise foi et d’ignorance.
La France s’est précisément construite sur le fondement d’un "capitalisme de connivence", qui voit industriels et politiques manger à la même table, sur le dos des citoyens, contribuables et consommateurs que nous sommes. Qui voit, depuis des lustres, les industriels plaider pour la concurrence surtout quand elle ne les dérange pas. Leclerc est un parfait exemple du bonimenteur dangereux et démagogue : on lui opposera le "vrai libéralisme" économique de l’UFC que choisir qui réclame la concurrence entre les hypers, sous réalisée dans notre pays.
En dernière analyse, l’humanisme libéral, c’est bien la défense de l’homme avant les profis de quelques uns : la concurrence saine est une façon de se protéger, tout comme l’ouverture des frontières, la liberté de circulation, le respect scrupuleux de l’état de droit ou la limitation de l’autorité.
Vous prenez, monsieur, tout à l’envers. Vous imputez le mot libéral à ses ennemis, tout en plaquant vos propres fantasmes sur lui.
Lisez Delanoë, lisez aron, lisez hayek : le libéralisme c’est la liberté en pratique, un pur pragmatisme, tout sauf une religion. Ou comment, dans un monde de rareté et de rapport de force, "rationaliser" notre relation à autrui envie d’optimiser nos choix individuels (et pas strictement notre prospérité, qui est une conséquence heureuse mais pas une finalité).
Je vois que M. Ecuador a d’ores et déjà lu le dernier livre de Naomi Klein, que je suis en train de lire (ou tout du moins que je me force à lire, il est important de savoir ce que pensent les ennemis de la liberté).
Ne sachant plus quoi faire pour réhabiliter le socialisme, confondant démocratie et socialisme (pour Klein, les peuples, par défaut, préfèrent le socialisme, l’économie dirigée), Miss Klein passe son temps à accumuler les raccourcis les plus incroyables. Mais ce n’est pas le sujet.
La concurrence crée le vice. Ah c’est bien vrai, ça. Voyez ces gosses de bourges des années 60, concurrencés dans LEURS écoles et facultés par de plus en plus de femmes et d’enfants de pauvres. Comment ont-ils réagi ? Ils nous ont fait mai 68 pour remettre chacun à sa place : le pauvre dans sa merde, et la femme au pieu.
Et le fils à papa sur les traces de papa enfin libérées de tous les miasmes qui les encombraient.
Edouard.
Merci pour ces deux qualificatifs : ignorance et mauvaise foi.
Je vous propose Chomsky, vous me répondez Delanoe (pour commencer) et Hayek pour suivre. J’aurais aimé l’inverse. Mais bon.
Mon article a deux objectifs
1) Souligner que le libéralisme est une religion de l’attente. Je relisais hier Friedman et Phelps. Sur le long terme les marchés s’équilibrent, le chômage n’existe plus, les profits disparaissent… Mais sur le court terme, les inégalités se creusent, les profits augmentent. Donc, attendons. Ce sont les papes de l’école de Chicago qui le disent.
2) Et faire remarquer que les libéraux souhaitent que le libéralisme s’applique aux autres rarement à eux. C’est une constante de l’histoire, regardez les EU, la Chine, il n’y a que l’Europe qui fasse exception.
Cordialement.
Bertrand Rothé
sur votre point 1
La "religion de l’attente" que vous stigmatisez porte un nom : la croyance dans la capacité du marché à tout régler, tout résoudre. Quand le capitalisme se substitue à toute pensée politique, on tombe effectivement dans cette utopie naïve, qui autorise à croire que propriété privée et marché libre réglerons tous les rapports humains comme des horloges, dans le "meilleur des mondes".
c’est précisément pourquoi le libéralisme permet une critique du marché, tout en assumant que son fonctionnement doit être libre : il rappelle que l’Etat et le Droit sont au coeur de toute société, et non le marché. En réduisant le libéralisme à ’l’utopie - un peu daté et un peu manichéenne d’ailleurs - d’un monde gouverné par wall street", vous rendez en réalité un bien mauvais service à la cause que vous semblez poursuivre…
Mais l’enfer est pavé de bonnes intentions, et "libéral" fait un joli punching ball. Sauf que… en France on commence à comprendre que le cadre du débat politique est précisément libéral, loin de l’utopie socialiste.
sur votre point 2
Bien évidemment, ceux dont vous parlez ne sont pas des libéraux, mais des protectionnistes ! La Chine, les Etats-Unis sont les deux mamelles du protectionnisme mondial, qui font régulièrement capoter les négociations multilatérales. Je vous rappelle tout de même que les libéraux souhaitent le libre échange partout. En matière de politique étrangère et commerciale, ces deux pays le refusent. Ils sont protectionnistes. Qu’est ce qui vous permet d’écrire qu’il serait "libéraux", sinon une approximation hâtive de l’air du temps ?
Ici encore, vous confondez capitalisme, productivisme (à la Chinoise), et libéralisme.
Bref, vous réduisez la pensée. Dommage.
Edouard
Continuons cet échange.
Dans votre 1 je suppose que vous faîtes référence à Marshall et Pigou les deux économistes de l’école dite du "bien-être". En effet cette école très peu médiatisée, critique ou plutôt souligne, au début du XX siècle, les limites de certains marchés. Cette école anglaise, qui a créé le concept d’externalité souhaite que dans certaines conditions l’Etat intervienne.
Pour le reste, Hayek que vous appelez à l’aide dans votre première intervention, et qui est un vrai libéral (pur sucre même au moment du Keynésianisme monolithique), il condamne l’Etat avec violence, et toute forme d’intervention collective. Il va jusqu’à condamner la monnaie cette représentation collective.
Les économistes libéraux contemporains sont très critiques vis a vis de l’Etat. L’école des "choix politiques" n’hésite pas du tout, il ne fait pas dans la nuance. Pour eux comme pour Marx du reste que vous oubliez de citer, l’Etat est au service des puissants.
Sur ce petit échange, je repars rédiger mes articles.
Cordialement.
Bertrand Rothé.
Manifestement, vous n’avez pas lu Hayek. Dans son oeuvre, il place l’Etat de droit, la loi et l’Etat, au coeur de sa réflexion : non pas pour en demander l’abolition, mais au contraire, la clarification des rôles, de telle sorte que l’Etat puisse plus fortement et vertueusement défendre nos droits.
Contresens intellectuel complet donc.
Deuxième erreur intellectuelle, ce grand "sac" dans lequel vous fourrez l’école du public choice, les libéraux contemporains, les libertariens, etc. Comme si "libéraux" était un vocable suffisant pour désigner tout ce qui se méfie (à juste titre) de l’Etat, sans être marxiste pour autant. Bref, improbable typologie qui vous induit en erreur.
Je vous suggère de reprendre les fondamentaux : je vous le dis sans acrimonie, je pense juste que vous n’êtes pas assez informé.
Je vous suggère quelques ouvrages fondamentaux : Sur la route de la servitude, pour commencer, ensuite Age of Reason de Thomas Paine, et enfin La fête au Bouc, de Mario Vargas Llosa. Pour conclure, un petit détour par Bertrand de Jouvenel et Orwell ne vous feront pas de mal.
Si normalement tout se passe bien, au bout de ces lectures éclairantes sur la nature de l’Etat et de l’âme humaine, vous serez un libéral convaincu, peut être de gauche (au sens où les libertés politiques et civiques priment), peut être pas… Mais vous ne commettrez plus ces funestes imbroglio.
Edouard
Quel beau livre que La Route de la Servitude. Une référence libérale, d’un homme qui envers et contre tout affirme l’efficacité du marché. Au moment ou l’école de la synthèse Hicks, Hansen et Samuelson font ou essaient de faire la synthèse entre économie classique et économie keynésienne, Hayek s’entête et écrit la Route de la Servitude Sa thèse est que "l’interventionnisme de l’État nuit aux libertés des individus" : la dernière de couverture de cet ouvrage au PUF. On est assez loin de votre idée.
Je vous renvoie aussi à sa défense de la démocratie : "La démocratie est essentiellement un moyen, un procédé utilitaire pour sauvegarder la paix intérieure et la liberté individuelle. En tant que telle, elle n’est nullement infaillible. N’oublions pas non plus qu’il a souvent existé plus de liberté culturelle et spirituelle sous un pouvoir autocratique que sous certaines démocraties, - et qu’il est au moins concevable que sous le gouvernement d’une majorité homogène et doctrinaire, la démocratie soit aussi tyrannique que la pire des dictatures." La Route de la servitude (1943), Friedrich Hayek (trad. G. Blumberg), éd. PUF, coll. Quadrige, 1993 (ISBN 9782130389576), p. 82
Cordialement.
Bertrand Rothé
Edouard
Je pense que vous lisez un peu vite, mais le site ne permet pas une lecture attentive, je ne fais pas d’amalgame entre l’école des choix publiques et les libéraux. Je connais la différence, mais je pense que cette école représente l’aboutissement de l’école libérale.
Et j’en profite pour noter qu’effectivement les plus libéraux reviennent aujourd’hui sur leur dogme (aux EU en tous les cas). La théorie de la croissance endogène redonne une place importante à l’Etat.
Vous voyez, je vous donne raison.
Bonne nuit. Cdt.
Bertrand Rothé
Elle est plaisante, cette discussion de scolastiques. De l’UFC à Hayek, et d’autres, postulons ce que doit être le monde.
"La fusion économico-étatique est la tendance la plus manifeste de ce siècle ; et elle y est pour le moins devenue le moteur du développement économique le plus récent. […] … on peut dire de chacune qu’elle possède l’autre ; il est absurde de les opposer, ou de distinguer leurs raisons ou leurs déraisons", Commentaires sur la société du spectacle, V.
L’économie de marché, au sens de Braudel, n’a aucune chance sur cette Terre. Pour citer le "monolithe”, demain nous serons tous morts.
Toutes les religions sont des religions de l’attente : "Heureux les pauvres car le royaume des cieux leur appartient".
Le libéralisme ne fait pas exception : "vive les gosses qui crèvent de faim car le saint marché leur apportera le bonheur".
Il s’agit d’une superstition mortifère et criminelle. La "réduction des profits" vous avez vu ça où exactement ? Dans la hotte du père noël ?
Autrement les patrons du CAC 40 ont vu leurs rémunérations augmenter de 58% cette année…