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Le ravisseur des otages français au Liban est mort

Explosion / vendredi 15 février 2008 par Jacques-Marie Bourget
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Imad Mughnieh, un pilier du chiisme radical, est mort dans un attentat à la voiture piégée à Damas le 13 février. Un homme secret et encombrant, sans scrupules, devenu l’intermédiaire principal entre l’Iran et le Hezbollah. Il avait notamment joué un rôle central dans la prise des otages français au Liban, libérés en mai 1988 dans des conditions opaques.

Un épisode sur lequel « Bakchich » revient en détail, avec l’interview exclusive d’un acteur des négociations : le cheik Zein, émissaire adoubé par le président sénégalais Diouf et par clan Pasqua, écarté au dernier moment.

La presse, celle qui se fabrique maintenant avec de la colle et des ciseaux, nous a fait parfois rire. Rire dans un cimetière islamique en vérité, puisqu’à l’origine de ce comique, on trouve la mort du très regretté Imad Mughnieh, tué le 13 février dans l’explosion de sa voiture alors qu’il se trouvait à Damas et enterré mercredi au sud de Beyrouth au milieu d’une foule compacte appelant à le venger en pointant du doigt Israël.

Donc, excepté l’assassinat d’Henri IV, nos quotidiens mettent sur le dos de Mughnieh, ce cacique du Hezbollah, tous les crimes de la terre. Pour ces journalistes, à Beyrouth, Mughnieh à jadis fait sauter l’immeuble du Drakkar et 57 des parachutistes français qui casernaient là. Et Mughnieh est au même moment à l’aéroport de la capitale libanaise avec 241 US Marines au tapis. Et plombe encore, cette fois en 2000, le vaisseau USS Cole au Yémen.

En fait, cette peinture de Mughnieh vient de ce que nous vivons difficilement sans diable. Saddam et Hitler morts, Imad Mughnieh était un peu les deux. En fait, il n’était guère plus qu’un révolutionnaire à l’ancienne, passé de Marx à Allah. Un type sans scrupule, prêt à toutes les brutalités, et pire, pour « libérer sa terre », puisque ce dirigeant du chiisme radical libanais, était d’abord palestinien.

Devenu l’interface numéro 1 entre l’Iran et le Hezbollah, Imad Mugnieh avait d’autres choses à faire que courir le monde pour y placer des bombes. Comme, par exemple, faire venir jusqu’au Liban ces missiles qui ont permis aux chiites de repousser l’offensive d’Israël à l’été 2006.

C’est en 1985, dans la banlieue sud de Beyrouth, que j’ai un jour croisé Mughnieh. Difficile dans une vie de journaliste de faire face à un type plus déterminé que ce néo fou de Dieu là, un archétype.

A cette époque, entre deux détournements d’avions vers Beyrouth, il s’est mis à capturer des otages pour le compte de l’Iran. Téhéran et Khomeiny voulaient que la France rembourse les millions prêtés par le Shah au gouvernement de Giscard afin de construire en commun Eurodif, une unité d’enrichissement d’uranium destiné à produire de l’électricité.

Prisonniers pendant trois ans dans des caves libanaises, Jean-Paul Kaufmann, Michel Seurat (qui en est mort), Marcel Fontaine et Marcel Carton ont été des victimes de Mughnieh. L’histoire officielle veut que ces quatre otages aient été libérés par Jean-Charles Marchiani, le mousquetaire de Pasqua.

Mais le cheikh Zein, un religieux chiite installé au Sénégal, raconte une toute autre histoire. Et son interlocuteur d’alors était le chef de guerre mort hier à Damas. Dans un entretien réalisé en 2005, mais publié aujourd’hui pour la première fois, le dignitaire du Sénégal raconte le détail des négociations et de son éviction finale. Mais impossible de faire prononcer à l’habile religieux le mot Iran et le nom Mughnieh, pourtant très actif dans cette affaire !

Le cheikh Zein raconte la libération des otages français au Liban en 1988 : « Je suis arrivé à faire tomber les exigences des ravisseurs à 3 millions de dollars »

Question : Dans quelles circonstances êtes vous devenu un personnage clé de la libération des otages Français prisonniers au Liban ?

Cheikh Zein : En mars 1987, le président sénégalais Abdou Diouf, m’a convoqué pour prendre mon avis sur cette affaire d’otages. J’ai pris l’avion pour Beyrouth. J’ai compris que, pour trouver une bonne solution, il fallait agir à la fois au Liban et dans un autre pays (le discret cheikh veut parler de l’Iran, Ndlr). De retour à Dakar, j’ai dit au Président : « Je peux me charger du Liban, mais à vous de vous occuper du pays extérieur ». Abdou Diouf m’a répondu : « Non, j’ai une totale confiance en vous. Vous vous chargez de tout. »

ITW du Cheikh - JPG - 126 ko
ITW du Cheikh
© Marc

Q : A cette époque vous n’avez aucun contact avec la France ?

C.Z. : Non, aucun. Le Président Diouf m’a fait une lettre de mission et accordé un passeport diplomatique. Ainsi, en 13 mois, je vais faire 6 séjours à Beyrouth et deux dans un autre pays (L’Iran bien sûr Ndlr). C’est à la fin de l’été 1987, après mon troisième séjour au Liban, que j’ai eu un premier contact avec les autorités françaises, place Beauvau, avec Charles Pasqua. Une voiture officielle et des fonctionnaires m’attendaient à l’aéroport, selon un scénario qui se reproduira plusieurs fois. Au début, ceux qui étaient mes intermédiaires, mais pas les preneurs d’otages, exigeaient 25 millions de dollars. Je leur ai dit, « dans ce cas ce n’est pas la peine d’insister… »

Finalement avec ces allers et retours à Beyrouth, et ces deux voyages ailleurs, je suis arrivé à faire tomber l’exigence à 3 millions de dollars. Mais il y a eu un incident : lors de mon cinquième voyage, j’ai compris que la France agissait dans mon dos. J’ai donc fait savoir à Charles Pasqua que j’abandonnais ma mission.

En avril 88, j’ai eu un nouvel appel du cabinet de Pasqua. J’ai encore refusé. Mais Pasqua m’a annoncé qu’il allait venir me voir à Dakar. Il est venu 24 heures et a dormi au palais présidentiel. Refusant de le recevoir seul, j’ai donc organisé une réunion publique dans mon Institut où une centaine de personnes étaient présentes. Dans la délégation française figurait Robert Bourgi, un Français d’Afrique d’origine libanaise.

Pasqua a demandé que nous nous enfermions dans mon bureau, avec Bourgi qui traduisait. Charles Pasqua, s’engageait à donner les 3 millions de dollars réclamés par les intermédiaires. Et il précisait : « Avant, il me faut le feu vert du gouvernement ». Une semaine plus tard, le ministre m’appelait : « C’est O.K. ». Robert Bourgi est venu me chercher à Dakar pour m’installer à Paris, à l’hôtel Prince-de-Galles.

J’ai eu alors un premier entretien avec Pasqua qui m’a dit d’entrée : « Nous pensons que les otages sont morts. Cette fois, il faut nous aider à connaître la vérité, à trouver une solution ». Et je suis reparti pour Dakar. Quelques jours plus tard, Bourgi m’a appelé à 2 heures du matin : « Le temps presse, il faut que vous partiez demain pour Beyrouth ». Bourgi, qui était lui aussi à Dakar, m’a accompagné à l’aéroport et payé mon billet. Je vais rester 18 jours au Liban, à négocier durement avec plusieurs groupes impliqués dans l’affaire.

Finalement, le 4 mai 1988, vers 2 heures du matin, l’un de mes correspondants m’a appelé, me demandant de « venir chercher les otages ». J’ai refusé, lui faisant valoir qu’on ne pouvait laisser ces hommes dans la nature sous ma seule protection. J’ai dit qu’il était préférable d’attendre le soir ce qui permettait l’arrivée d’un avion spécial de Paris avec un groupe de protection.

Q : Vous êtes donc seul à Beyrouth, sans un contact français sur place ?

C.Z. : Oui. Et ce matin-là, j’ai dû chercher un téléphone qui fonctionne pour appeler Bourgi, à Paris, et lui annoncer la nouvelle, lui demande d’envoyer un avion.

Q : Le soir, vers 19 heures, où récupérez-vous les trois otages ?

C.Z. : Je ne peux vous le dire. Ils étaient dans un lieu public avec les yeux bandés. Ils se sont entassés à l’arrière d’une Mercedes, avec un interprète. Moi, j’étais à l’avant au côté d’un chauffeur. Nous avons pris la direction de l’hôtel Summerland, au sud de Beyrouth. Visiblement, les Syriens étaient au courant de l’opération, puisque tous les points de contrôle étaient ouverts.

Q : Que ce passe-t-il au Summerland ?

C.Z. : La voiture ne s’engage pas dans la descente qui va vers l’entrée de l’hôtel. Nous restons parqués dans la rue. Il y a là des officiers Syriens, en uniforme, un groupe de Français avec des voitures. Les otages n’avaient pas dit un mot, c’était l’accord que nous avions avec les Français. L’interprète leur avait dit d’observer le silence jusqu’au moment du décollage de l’avion vers Paris et il était acquis que j’accompagne les otages dans leur vol. De l’autre côté de la rue, il y a quelqu’un qui a pris des photos, sans flash, je m’en souviens très bien.

Le cortège allait se mettre en marche vers l’aéroport. À ce moment un homme est intervenu pour me demander de prendre place dans une voiture située à l’arrière. Plein de bonne volonté, j’ai changé de véhicule. Soudain mon nouveau chauffeur a quitté le cortège pour foncer vers le quartier général des services syriens.

J’ai compris que les Français m’avaient piégé, éliminé. Je suis resté un long moment dans ce QG, puis on m’a libéré. Je suis rentré chez mon frère, qui vit à Beyrouth, en taxi.

Q : Je suppose que vous avez demandé des explications à Paris ?

C.Z. : Oui. On m’a expliqué que c’était un malentendu. Le 5 mai, arrivé dans votre capitale, je téléphone à Bourgi. Il me retrouve à l’hôtel et me rend une valise que j’avais laissée chez lui. Et ajoute : « Nous allons finir tout cela à Dakar ». Comme un naïf, j’ai pris l’avion pour le Sénégal où je n’ai plus eu de nouvelles.

Q : Avez-vous rencontré Jean-Charles Marchiani, ce proche de Pasqua qui affirme être l’unique libérateur des otages.

C.Z. : Je pense que c’est lui, à l’hôtel Summerland, qui m’a demandé de changer de voiture. D’ailleurs un témoignage publié, sur ce qu’a vu à Beyrouth l’otage Jean-Paul Kauffmann, confirme cet épisode. Sans ma présence, ma caution, la libération était impossible. Que des Français se soient joués de moi, ça me semble évident. D’où la volonté de me mettre out lors de l’étape finale.

Q : Et, peut être, pour on ne sait qui, l’occasion d’empocher à votre place les 3 millions de dollars que vous réclamaient a les « intermédiaires » ?

C.Z. : Je ne sais pas.

Q : Plus tard, des Français de la bande à Pasqua auraient demandé au Président Diouf de vous expulser du Sénégal ?

C.Z. : C’est exact. Mais Diouf ne les a pas écoutés en disant : « Cheikh Zein est un Sénégalais, il est ici chez lui ». Depuis, le Président a confirmé l’exactitude de ma mission et l’importance capitale de mon rôle.

Q : Quand vous parlez de votre action auprès « d’un pays extérieur », il s’agit de l’Iran ?

C.Z. : Je parle d’un pays « extérieur ». Les Français ont même un télégramme des autorités de ce pays confirmant que j’étais bien le seul négociateur qui compte. Le feu vert, c’était cela.

Ce « feu vert » était donné par Khomeiny et Imad Mughnieh était son sémaphore. Adepte de la takïa, qui absout tout chiite du mensonge quand celui-ci est proféré pour un motif religieux, Zein oublie de nous dire que le nom de Mughnieh a circulé sur ces petits papiers échangés entre Téhéran et Paris. Par le truchement du bon cheikh.


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4 MESSAGES

Forum

  • Le ravisseur des otages français au Liban est mort
    le vendredi 15 février 2008 à 11:34, respect a dit :

    Ce ne sont pas 57, mais 58 parachutistes français qui sont morts au Drakar, et ce un an après l’assassinat de notre ambassadeur à Beyrouth, Monsieur Delamarre.

    Il est certain que de nombreux fonctionnaires ou anciens fonctionnaires français ne regretteront pas le Cheik Zein…et, même si la presse lui prête sans doute un peu trop des atrocitées commises depuis 20 ans dans la région, il est peut-être intéressant - si ce n’est politiqument correct - de se souvenir de la manière dont les russes ont réussi à circonscrire en 24 heures la question de la menace chiite radicale planant sur leurs ressortissants au Liban à cette époque.

    Il faut savoir gagner la paix…encore faut-il avoir un peu de courage politique.

  • Le ravisseur des otages français au Liban est mort
    le vendredi 15 février 2008 à 10:46, cvso a dit :
    Enfin de la vrai presse indépendante, il est clair que vous ne vous contentez pas de relayer l’information des autres journaux, vous faites votre propre analyse, c’est ce que j’apelle un vrai travail de journaliste. Car les gens ont tendance à diaboliser n’importe quelle personne qui se met en travers d’Israel ; Dans le cas de Imad Mughnieh, il s’agit d’un assassinat et il ne fait aucun doute que c’est purement politique et cela doit être condamné. Car une personne est morte et les commanditaires de ce crime affreux ne sont même pas inquiétés.A bon entendeur, salut !
  • Le ravisseur des otages français au Liban est mort
    le vendredi 15 février 2008 à 10:37, bdlr a dit :

    mais comment ont-ils retrouvés imad Mughnied ??

    ca fait 20 ans que les usa et israel recherche ce type qui avait changer de visage !

    et pourquoi l’éliminer à damas ?

    la paix au liban n’est pas pour demain…

    • Le ravisseur des otages français au Liban est mort
      le dimanche 17 février 2008 à 16:54, Robert a dit :
      je suis triste de sa mort car j’aurais preferé que nasrallah y soit aussi !! Merci Dagan et continue comme ca..
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