Retour sur trois mises en scène simultanées de "La Nuit des Rois" de William Shakespeare.
Etonnante coïncidence, l’Ile de France nous proposait, en septembre, trois mises en scène de « La nuit des rois ». Autant de manière de réfléchir à la place du bouffon dans nos sociétés.
La première à l’hôtel de Beauvais dans le cadre du festival itinérant des Arènes de Montmartre, mise en scène par Carlo Boso et Danuta Zarazik. Le deuxième au théâtre « Comedia » dans une mise en scène de Nicolas Briançon. Et la troisième à Bobigny dans une version allemande, mise en scène par Patrick Sommier. En même temps, se donne dans le cadre du Festival d’Automne le spectacle « Ordet » de Kaj Munk mis en scène par Arthur Nauzyciel au théâtre du Rond Point. Pourquoi ce parallèle ? Où commence et s’arrête le théâtre ? Pourquoi a-t-on toujours besoin d’un vrai bouffon qu’il soit un journaliste, un artiste ou un philosophe ?
Comme le dit Shakespeare, notre intelligence doit rassembler cinq esprits : la fantaisie, l’imagination, le sens commun, le jugement et la mémoire. Or dans « La Nuit des Rois », seul le Fou « El Feste » en italien, rassemble ces cinq qualités, tout comme le frère considéré comme fou dans « ORDET » qui se prend pour Jésus et réalise le miracle improbable. Dans les deux spectacles, ils tiennent les ficelles de l’intrigue et dominent les autres marionnettes désarticulées et désorientées en leur tendant le miroir de leurs insuffisances.
Dans « la Nuit des Rois » de Carlo Boso, outre la maîtrise de jeu, les gags, les duels d’escrime et les chants merveilleusement interprétés, s’ajoute un parti-pris de mise en scène qui nous interpelle sur ce personnage du bouffon car on ne sait plus grâce à un jeu subtil entre les masques, les maquillages et les costumes, où se situe la limite entre le comédien et le personnage.
Grâce à ce tour de « passe-passe », on imagine tout de suite la chevelure noircie et gominée, le masque lisse porté par Berlusconi affichant son sourire séducteur et carnassier devant les victimes du tremblement de terre ou nous inondant de sa guimauve pailletée de télé-réalité et de baisers sur la bouche ! On imagine aussi les mille et une « bouffonneries » qui occupent notre quotidien parmi lesquelles le cynisme de promoteurs prêts à réaliser une spéculation immobilière sur un site patrimonial unique à Montreuil : les anciens studios de cinéma Charles Pathé, siège du Studio Théâtre de Montreuil et de l’Académie Internationale des Arts du Spectacle (AIDAS) – (voir encadré ci-dessous).
Les coïncidences de mise en scène autour du bouffon et de son rôle dans notre société nous interpellent sur la vacuité du bonheur précuit qu’on essaie de nous vendre à tous les coins de rue pour contrôler nos opinions et nous empêcher de penser. Alors, finalement, « bouffon » contre « bouffon », on préfère mille fois la commedia dell’ arte.
Le spectacle de « La Nuit des Rois » a été créé pour les élèves de 3ème année de l’Académie Internationale des Arts du Spectacle qui donne la possibilité aux élèves sortants de garder le spectacle pour le vendre et se lancer dans le métier. Ils ont depuis créé leur compagnie « Les Passeurs », et ont déjà plusieurs dates de reprise du spectacle « La Nuit des Rois ». Ils vont inaugurer le nouveau théâtre de Rosny sous Bois le 10 octobre à 20h30 et la pièce sera reprise les 27, 28 et 29 Novembre au Théâtre de la Cour des 3 coquins à Clermont-Ferrand.
L’AIDAS, dirigée par Carlo Boso et Danuta Zarazik et installée à Montreuil risque fort de perdre leur lieu de formation et de création : les anciens studios de cinéma Charles Pathé. Un lieu magnifique et unique au monde, qui devrait être classé aux Monuments Historiques et qui attire la gourmandise d’un promoteur immobilier indifférent à la symbolique du lieu et à sa mise en valeur effectuée par l’équipe du Studio Théâtre de Montreuil et la centaine d’artistes qui y réalise ses résidences artistiques. Cette Ecole internationale qui forme aux Arts du spectacle va-t-elle pouvoir rester dans les anciens studios de cinéma Pathé. Carlo Boso a demandé au Ministre de la Culture, M. Mitterrand, que ce lieu soit classé aux Monuments Historiques ?
Affaire à suivre…