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Le Black mic-mac d’Obama

Nouveau Centre / vendredi 20 juin 2008 par Doug Ireland
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Le récent discours de Barack Obama, prononcé à l’occasion de la fête des pères, le 15 juin dernier, et durant lequel il s’en est pris aux hommes noirs qui abandonnent leurs enfants, montre une réorientation au centre de son discours sur la question raciale. Décryptage de notre chroniqueur Doug Ireland.

Le 15 juin était un dimanche de Fête des Pères et Barack Obama a choisi ce jour pour se livrer à une attaque en règle contre les mâles noirs qui abandonnent leurs enfants. Pour ce faire, il a délibérément prononcé son serment dans une église noire de Chicago plutôt conservatrice. Politiquement, il va de soi. Ce qui n’a pas manqué de creuser l’écart avec l’église militante de son ancien pasteur, le Révérend Jeremiah Wright, avec qui il avait pris ses distances en mai dernier en raison de ses prêches enflammés (Lire ou relire dans Bakchich Obama sauvera-t-il sa peau). « Ils ont abandonné leurs responsabilités. Ils ne se conduisent pas comme des hommes mais comme des garçons… Tout crétin peut faire un enfant, mais c’est le courage d’élever un enfant qui fait de toi un père », a psalmodié le sénateur métis. Obama n’a pas pris la parole pour exorciser le mauvais souvenir d’un père qui l’a abandonné quand il avait à peine deux ans, mais plutôt pour tenter d’éloigner une bonne fois pour toutes le spectre du Révérend Wright.

Comme l’a si bien relevé le correspondant de la chaîne de télévision ABC, John Hendren, ce discours était « une tentative de réintroduire le candidat comme une voix centriste dotée d’une forte autorité morale. » Pour le commentateur Stuart Rothenberg, avec ce serment « Obama a voulu écrire une nouvelle histoire autour de sa candidature afin qu’elle ne soit pas définie par son ancienne association avec le Révérend Wright ou par de fausses informations sur sa religion ». En effet, les rumeurs voulant qu’Obama, qui est chrétien pratiquant, soit musulman, continuent de circuler sur internet et se sont enracinées au sein de la classe ouvrière blanche.

Le « Moynihan Report »

Mais en se faisant ainsi le chantre des « valeurs familiales », Obama a fait sien un vieux concept de la question raciale qui remonte au milieu des années 60. En effet, en 1965, un rapport rédigé pour le Ministre de Travail, par Daniel Patrick Moynihan (qui est devenu plus tard un conseiller du Président Richard Nixon puis un sénateur démocrate néo-conservateur), a lancé l’idée que le principal problème des noirs était l’éclatement de la famille. Le fameux « Moynihan Report », qui constitue encore aujourd’hui l’un des fondements du discours dominant sur la question raciale, part du principe que cet éclatement des familles noires est une « pathologie » propre à cette catégorie de la population qui se reproduit « sans l’assistance du monde blanc ». Et qui se bloque ainsi toute avancée vers l’égalité économique et politique. En d’autres termes, la théorie de Moyhihan revient à dire que les principaux responsables du racisme ambiant sont justement les victimes de ce … racisme !

Lors de sa parution, le « Moynihan Report » s’inscrivait dans le cadre du discours sur la question raciale conçu en 1954 par le suédois Gunnar Myrdal dans son célèbre ouvrage Un dilemme américain : le problème des nègres et la démocratie américaine (sic) où Myrdal a écrit que « le problème des nègres est un problème dans le cœur des Américains ». Myrdal comme Moynihan excluent d’emblée le fait que les institutions économiques et les blocages de classe sociale puissent être l’influence déterminante sur la question raciale. Pour eux deux, tout changement relève de comportements individuels : dans les préjugés des blancs pour Myrdal, dans la démission des pères noirs pour Moynihan.

L’optimisme à la sauce Myrdal-Moynihan de Barack Obama, que l’on retrouve dans ses livres et dans ses discours pour contrecarrer « l’effet Wright » sur la campagne présidentielle, flatte l’ego américain et se marie très bien avec nos traditions religieuses et notre culture de la thérapie. Avec ses solipsismes du genre « Nous sommes le changement que nous recherchons », Obama promet que l’Amérique peut surmonter la question raciale en votant pour lui. Dans un pays qui s’est déchiré dans une guerre civile sur des questions de races, il y a 140 ans à peine, et dont les fantômes font toujours partie de l’inconscient collectif, Obama offre un moyen de surpasser cette histoire pesante.

Une mauvaise distribution des ressources

Mais ce discours du candidat du Parti Démocrate ne suffit pas à expliquer la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. Il y a quelques mois, le professeur d’affaires urbaines Stephen Steinberg a publié un livre important, Race Relations : A Critique (Une critique des relations raciales) édité chez Stanford University Press. Pour Steinberg, l’inégalité des noirs est avant tout un problème d’oppression et d’exploitation. Pas un problème de comportements ou de préjugés individuels.

L’histoire de l’inégalité des noirs américains depuis la fin de l’esclavage est l’histoire de la mauvaise distribution du pouvoir et des ressources. Et si elle perdure encore, ce n’est pas seulement parce que les blancs nourrissent de mauvaises pensées mais parce que les avantages dont jouissent les blancs, surtout dans le logement et l’éducation, n’ont pas été éradiqués. Les Américains blancs et privilégiés se flattent d’être indifférents à la couleur de la peau mais résistent à la construction de logements bon marché près de chez eux pour protéger la valeur de leurs propres biens immobiliers. Les blancs ne veulent pas que leurs impôts servent à soutenir les noirs pauvres, perçus comme indolents, ou pour aider financièrement des écoles fréquentées par une majorité d’enfants noirs. Car la ségrégation raciale est de facto plus présente que jamais dans nos écoles.

« Yes we can »

Comme le démontre très bien Steinberg en décortiquant Myrdal, Moynihan, et leurs semblables, les explications structurelles chassées de la conversation nationale par la Guerre Froide et le McCarthyisme dans les années 50 sont toujours taboues aux Etats-Unis parce qu’elles font éclater nos mythes culturels liés à l’ascension sociale et à la réinvention de soi. Dans ces mythes, tout le monde peut s’en sortir pour peu qu’on en ait la volonté et que l’on dise « Yes we can » (Oui, nous le pouvons). D’ailleurs, Barack Obama a tellement répété cette devise dans ses meetings que ses supporters la scandent maintenant à tue-tête.

Donc, le discours d’Obama pour la Fête des Pères n’est qu’un signe de plus qu’on ne peut rien attendre de lui sur le plan social et économique. Les conseillers économiques d’Obama, comme Austan Goolsbee, viennent de l’Université de Chicago, le Vatican du libéralisme économique américain. Et, comme l’a si bien écrit l’excellent Howard Fineman dans sa chronique du 16 juin pour le magazine Newsweek au sujet de la politique économique que nous propose le sénateur métis : un Obama président « ne cherchera pas l’inattendu ou le radicalement nouveau. Il y a longtemps qu’il a fait le calcul suivant : il suffit qu’il incarne à lui seul le changement. » Si Obama gagne l’élection, les noirs qui croupissent dans leurs ghettos risquent d’être très vite déçus.


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3 MESSAGES

Forum

  • Le Black mic-mac d’Obama
    le mercredi 2 juillet 2008 à 15:11
    Tous les etudiants de Chicago ne sont pas neo-liberaux les cocos ;) Loin de la. Et ils ne l’ont jamais vraiment ete plus qu’ailleurs. D’autant qu’il faut differncier les departements. Mais puisque certains aiment tant raconter des aneries simplificatrices, je propose de dire que l’EHESS est une ecole neo-liberale ;) Bah oui ils ont une convention d’echange de 1 etudiant par an en PhD avec Chicago. Ca veut tout dire nan ?
  • Le Black mic-mac d’Obama
    le samedi 21 juin 2008 à 00:26
    votre controverse philosophico-économique est très intéressante mais votre démonstration est un peu limite, il n’y a pas besoin d’avoir fait un doctorat de sociologie pour savoir que le problème des mères isolées est plus universel que la chrétienté, il sait donc qu’il s’adresse à une audience noire pour leur dire cela, s’il s’était adressé à un publique blanc il aurait abordé les choses du côté des mères célibataires, de vouloir responsabiliser les hommes, quel que soit leur teint, n’est pas complètement irresponsable, tout ce poids de péchés était jusqu’à présent porté par les femmes et une grande partie des états-unis puritaine les regarde encore de travers
  • Le Black mic-mac d’Obama
    le vendredi 20 juin 2008 à 16:32, nydavid a dit :

    "Si Obama gagne l’élection, les noirs qui croupissent dans leurs ghettos risquent d’être très vite déçus."

    Et si MacCain gagne les elections, les noirs qui croupissent dans leurs ghettos risquent d’etre tres vite decus, eux aussi surement.

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