En charge notamment de l’instruction sur la disparition à Paris de l’opposant marocain Mehdi Ben Barka en 1965 et de celle du journaliste Guy André Kieffer en 2004 en Côte d’Ivoire, le juge Patrick Ramaël demande 50 000 euros au « Point » pour diffamation.
C’est une brève intitulée « Les juges qui agacent l’Elysée » parue dans l’hebdomadaire Le Point en novembre 2007 qui a mis le feu aux poudres. Non signée, elle mentionne que « L’Elysée et la haute hiérarchie judiciaire ont partagé le même agacement face aux initiatives récentes de deux juges d’instruction, assimilées à des provocations ». Toujours selon Le Point, le premier est le juge Gilbert Thiel « qui a convoqué à Paris le dirigeant d’un syndicat agricole corse la veille du conseil des ministres décentralisé à Ajaccio, le 31 octobre (2007) ».
Le second est le juge Patrick Ramaël « qui a lancé des mandats d’arrêt contre cinq personnalités marocaines dans l’affaire Ben Barka, juste avant le voyage officiel de Nicolas Sarkozy à Rabat ». Et l’hebdomadaire de citer le premier président de la cour d’appel de Paris, Jean-Claude Magendie qui aurait qualifié « d’irresponsable » l’initiative du juge Ramaël. Le tout illustré d’une jolie photo de Magendie en robe d’audience solennelle, médailles pendantes. Il faut dire que quand bien même Le Point aurait voulu un peu plus crucifié le juge, il en aurait été bien incapable : aucune photo publique de lui n’existe.
Toujours est-il que Patrick Ramaël n’a visiblement pas goûté la plaisanterie. Il poursuit en effet Le Point en diffamation et réclame 50 000 euros de dommages et intérêts. L’audience s’est déroulée le 3 juin dernier devant le tribunal correctionnel de Nanterre. L’occasion pour l’avocat du juge Ramaël, maître Yves Baudelot, de glisser lors de l’audience que « M. Magendie (n’avait) pas dit ce que Le Point lui a fait dire ». Alors, pris la main dans le sac Le Point ?
L’avocate de l’hebdomadaire, maître Juliette Barret, a fait valoir que les propos de Jean-Claude Magendie reflétait une opinion et non un fait diffamatoire comme le pense Patrik Ramaël. A ceci près que le 19 février 2008, Jean-Claude Magendie s’est fendu d’une lettre alambiquée à la rédactrice en chef du Point, Sylvie Pierre Brossolette. Cette missive, qui a été produite par la défense de l’hebdomadaire, montre qu’au Point, on s’est sérieusement agité pour limiter la casse. On peut y lire in extenso « Pour faire suite à l’entretien téléphonique que vous avez eu avec mon secrétaire général, je suis en mesure de vous confirmer que j’avais exprimé ma surprise devant la concomitance entre la délivrance par monsieur Patrick Ramaël, vice-président chargé de l’instruction au tribunal de grande instance de Paris, de plusieurs mandats d’arrêts et la visite officielle de Nicolas Sarkozy, président de la République, sur le sol marocain. »
Jolie prose qui ne confirme pas que Magendie a « exprimé sa surprise » à un journaliste du Point en personne et encore moins qu’il a utilisé le mot « irresponsable » comme l’affirme l’hebdomadaire ! Du coup, lors de l’audience, le procureur s’est mis à parler de « confusion des Palais »… De L’Elysée et du palais de Justice, il va de soi. Le jugement a été mis en délibéré au 1er juillet.
Bonjour,
En droit de la presse, faire dire à une personne citée des paroles n’est pas une opinion, comme le prétend l’avocate du point, mais un fait qui engage la responsabilité du journaliste, et partant, de son journal.
Qu’un magistrat ait pu exprimer sa surprise devant la concomitance des faits, cela est légitime. ET ne présume de rien d’autre que d’un sentiment humain.
Que le journal attribue à ce magistrat des mots non prononcés, qui vaudraient ici qualification injurieuse envers un autre magistrat, est une dérive grave.
La Justice a actuellement beaucoup de problèmes avec les politiques.
La Cour de Cassation vient de rendre un Arrêt- en date du 6 mai 2008- passionnant en sa conclusion sur une affaire concernant, encore, Asnières et son ancien maire sarkozsyte.
Certains magistrats de la Cour d’Appel de Versailles vont se souvenir douloureusement de cet Arrêt dans une affaire qui présente d’étranges parallélismes avec une certaine "affaire Clearstream" (lenteur et inutilité juridique de recherches d’éléments postérieurs aux faits à juger, interventions de services dits secrets par des Notes anonymes, etc…)
Ici, visiblement, la position du Point n’arrange pas les choses. Il serait souhaitable que la direction de ce magazine intervienne pour éviter à l’avenir de tels couacs plutôt que de faire soutenir des absurdités juridiques devant un Tribunal.
Un correctif et des excuses publics seraient ici la solution la plus "intelligente".
Très cordialement,