Inimitable Alfred. Le grand monsieur de l’affaire Elf pourrait être le principal bénéficiaire de l’enterrement du dossier des frégates de Taiwan. Et de l’au-delà, assurer un joli pactole à ses héritières.
Le plus gros contrat d’armement signé par la France à Taiwan, la vente en 1991 de six frégates militaires furtives pour 2,5 milliards d’euros, ne livrera jamais ses secrets. La justice a jeté l’éponge en ce qui concerne les destinataires des fameuses rétro-commissions, ces pots de vin censés avoir gonflé les poches d’hommes politiques français sur le dos de ce faramineux marché. Ces rétrocom’ ont fait fantasmer pendant près de dix ans journalistes, enquêteurs, lobbyistes, hommes politiques… De nombreux noms de bénéficiaires présumés, de gauche et de droite, ont circulé tous azimuts. Contrairement aux preuves, qu’on a jamais vues.
Le juge Renaud Van Ruymbeke a donc clôturé ses investigations et le procureur de la République est en train de rédiger ses réquisitions. Il ne lui restera comme clients à se mettre sous la dent que quelques clampins qui ont tenté, en 1991, de se greffer sur le faramineux marché pour en tirer des subsides sonnants et trébuchants : Christine Deviers-Joncour et l’un de ses proches de l’époque, l’homme d’affaires Gilbert Miara, ainsi que l’homme de l’ombre d’Elf, Alfred Sirven. Ce dernier n’est plus là pour donner sa version de cette petite escroquerie qui aurait pu lui rapporter quelques francs, 160 millions (24,4 millions d’euros). Une peccadille au vu des montants détournés pendant l’ère Le Floch-Prigent.
Mais selon l’analyse inédite confiée par un magistrat à l’oreille de Bakchich, même ce bout de dossier judiciaire - encore debout depuis le début de l’enquête en 1997 - pourrait s’effondrer comme un château de cartes. Tout d’abord, remarquent les spécialistes de l’affaire, la plupart des actes sur lesquels se base l’éventuelle escroquerie ont été accomplis… en Suisse. Ce qui rend bien aléatoire la compétence de la justice française. Ensuite, le secret défense risque de jouer - une fois de plus - des tours à la justice. Des documents relatifs aux énormes commissions versées à l’intermédiaire clé du contrat, Andrew Wang, ont été mis au dossier tout en restant couverts par le secret défense, que la commission ad hoc refuse obstinément de lever. Ces documents pourraient bien avoir « contaminé » l’ensemble de la procédure, qui pourrait du coup être intégralement couverte par le secret. De quoi couler définitivement l’affaire dans le béton…
Souvenez-vous des faits : Alfred Sirven et la « putain de la République » avaient jugé bon de créer une société écran en Suisse : Frontier Ag, gérée par un plumitif un peu amorti, signataire d’un contrat avec Thales pour 24,4 millions d’euros. Bizarrement, Thales a refusé de payer et fut condamnée. Pour éviter d’être forcé à régler leur dû à cette coquille masquant Sirven et Deviers Joncour, le groupe d’électronique déposa plainte au pénal. Initiant ainsi le grand déballage judiciaire sur le scandale des frégates… Résultat, si l’affaire finit par s’effondrer, Thales devra quand même aligner 24,4 millions d’euros. Qui en seront les heureux bénéficiaires ? La moitié ira à l’homme d’affaires Gilbert Miara, qui a repris la part de Deviers Joncour. Et la seconde part garnira le portefeuille des héritiers d’Alfred Sirven, c’est-à-dire ses deux filles.