Proc buté, juge tenace… beau bordel au Tribunal aux armées
Ce procureur est du genre têtu, voire buté. Pas illogique pour un magistrat au statut de colonel : Jacques Baillet est procureur du Tribunal aux Armées, celui qui agit au nom de la société dans les dossiers dans lesquels des militaires se sont trouvés mêlés à l’étranger, qu’ils soient victimes ou auteurs de délits ou de crimes. En face de ce proc très spécial, dans leur juridiction installée dans la caserne Reuilly, à Paris, une juge d’instruction – une seule – enquête sur les dossiers. Brigitte Raynaud a longtemps tenu le rôle et ne s’en laissait pas conter. Florence Michon, qui lui a succédé, semble plus accommodante avec les desiderata du proc. Curieusement, dans cette juridiction très particulière, le droit semble prendre des chemins de traverse plutôt tortueux.
Ainsi deux enquêtes, au lieu d’une, sont menées sur l’affaire de la mort de Firmin Mahé, cet Ivoirien « coupeur de routes » alors recherché pour plusieurs crimes et qui trouva la mort entre deux militaires français durant son transfert à l’hôpital de Man, en Côte d’Ivoire, le 13 mai 2005. Comment les mêmes faits peuvent-ils donner lieu à la fois à une instruction de la juge Michon et à une enquête préliminaire dirigée par le procureur Baillet ? Mystère. C’est pourtant le cas. Déjà, le 21 décembre 2005, la juge Raynaud – une coriace celle là ! –, avait adressé au procureur une lettre au vitriol lui reprochant de mener des investigations parallèles. Baillet rentrait en effet de Côte d’Ivoire où il enquêtait sur le dossier dont la juge était saisie. À moins que ce soit un voyage de tourisme ? S’il a finalement abandonné cette première enquête préliminaire, le proc en a ouvert une seconde, le 15 février 2007, « afin de déterminer les circonstances exactes de l’ouverture du feu le 13 mai 2005 sur la personne de Firmin Mahé ». Subtilité toute juridique : l’objet n’est plus de savoir qui l’a étouffé, mais qui lui a tiré dessus avant que Mahé ne s’enfuie, blessé, et d’être rattrapé par les soldats français. Soit. Comme si l’instruction judiciaire déjà en cours ne suffisait pas à établir les faits. Il faut dire que le procureur aux Armées a une idée alambiquée de la procédure.
Exemple : la Brigade criminelle – à qui il a confié les investigations – s’est permis, pour obtenir des documents couverts par le secret, de saisir la Commission (CCSDN) chargée de donner son avis sur la déclassification du secret défense. La Crim’ s’est fait envoyer direct au tapis. Dans un avis du 24 mai, la commission lui a fait remarquer que seuls les juges sont autorisés à la saisir. Après ce petit accroc, le proc a pris sa plus belle plume pour demander lui-même la déclassification des documents. Requête accordée par la commission qui, dans sa grande bonté, a autorisé le 15 juin la remise à la justice d’un papier désigné comme « l’annexe J/A de l’ordre d’opérations n°9/règles d’engagement du 9 avril 2005 », à l’exception de quelques paragraphes. Pendant ce temps, la juge qui a déjà mis en examen une poignée de militaires, à commencer par le général Poncet, ancien patron de la force Licorne, continue d’instruire l’affaire. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué…