Dénoncer « la casse » du fret à la SNCF. Tout en aggravant de 15 millions d’euros par semaine les pertes d’une activité qui en a brûlé près d’un milliard en 2009 ! Voilà l’exploit dialectique auquel est parvenu le patron de la puissante CGT cheminote, Didier Le Reste.
A la tête de son bastion, le fringant moustachu Didier Le Reste, contrôleur d’origine, est le fer de lance de la Xieme grève – seul Sud Rail lui a emboîté le pas - qui a semé la cagade à la SNCF ces deux dernières semaines. En principe, ce 21 avril, une table ronde nationale avec la direction doit clore le mouvement qui, outre celui des voyageurs, a fini de mettre le moral des industriels dans les chaussettes.
Le hic c’est que le bel apparatchik de la CGT a tellement chauffé les troupes que, ici et là, des ultras n’ont pas envie d’arrêter le train de la grève. Comme à Chambéry ou à Perpignan. Il faut dire que la rhétorique et l’idéologie du syndicat, pas trop compliquée à assimiler, trouvent de l’écho : pas touche au statut du cheminot, pas touche à l’organisation très rigide et très réglementées du travail – elle serait responsable de surcoûts de 15 % des tarifs de Fret SNCF par rapport au concurrent. Et pas touche non plus à l’unité de l’EPIC, l’établissement public cœur du système, par opposition aux filiales. Bref pour Didier soit content, il faut que tout reste comme avant.
Appel à un millier de conducteurs volontaires pour allonger leur temps de conduite de trains de marchandises, filialisation de certaines activités… grâce à Le Reste – et à Sud rail aussi - toutes les récentes tentatives radicales pour réformer l’activité chroniquement malade de la SNCF ont plus ou moins avorté. Tout puissants qu’ils soient, les syndicats ne peuvent cependant rien contre une fatalité.
Avec la crise, le trafic de marchandise de la SNCF a chuté si violemment que la direction du fret est bien obligée d’envoyer de vieilles locomotives à la casse et de réduire les effectifs en conséquence par gel d’embauche ou mutation, les licenciements étant impossibles. Fin 2009, l’activité marchandise a perdu 13 % de ses effectifs : 12 800 contre 14 7000 début 2009 et ça devrait continuer. Une cure d’amaigrissement qui représente peut-être l’espoir dérisoire de sauver le Fret. Car selon certains cadres du terrain, « c’est moins l’organisation du travail qui plombe tout que les frais de structure. Dans les bureaux, il faut 15 personnes pour faire le boulot de 4 ». Bigre !
Quand il sait la bataille perdue, le fier patron de la CGT cheminots négocie des victoires en trompe-l’œil. En 2009, pour avoir une chance d’emporter un marché de transport de cailloux face à la Deutsche Bahn, le groupe SNCF fait monter en première ligne, Logistra, une de ses filiales de droit privé. Vainqueur du marché, elle a du recruter des conducteurs sous droit privé. Cependant durant des mois, l’orthodoxe Le Reste fait la guérilla contre la direction, piquet de grève à l’appui. Mais les troupes finissent par le lâcher. « Pour éviter un camouflet, iI voulait symboliquement que le premier train opéré par Logistra soit conduit par un conducteur estampillé Fret SNCF. On lui a offert cette faveur », raconte un dirigeant, aux premières loges à l’époque et qui trouve « plus facile de traiter avec Sud qu’avec le chef de la CGT cheminot ». C’est dire.
« En ce moment Didier Le Reste est encore plus dans la théâtralité que d’habitude", constate l’entourage de Pépy, le patron de la SNCF. Lequel n’est pas pour rien dans le regain de conflictualité qui agite sa boîte. Bobo qui reste malgré tout très en cours auprès de Sarko, Guillaume Pepy est comme une cape agitée devant un taureau. Le Reste voit de plus en plus rouge devant lui. Et ne perd pas l’occasion de dénoncer « l’enfumage » de Pepy, maître de la com’, roi du double langage et des coups fourrés.
En fait avec sa belle grève qui est peut-être la dernière de sa carrière, « le patron de la CGT cheminot prépare son après, analyse-t-on à la SNCF. Même s’il a loupé la succession de Buffet au PC, on lui prête l’intention d’entrer en politique ». Si la fédé cheminot pratique le silence radio sur l’avenir du chef, on a au moins cette certitude. En novembre, la CGT Cheminot tiendra son congrès pour remplacer son leader. A 55 ans, atteint par la limite d’âge, l’ex-contrôleur sera un pimpant retraité de la SNCF contraint de passer la main. Pour les cheminologues les plus avertis, le prochain congrès sera aussi important que celui du PC chinois en 2012. « Si la CGT SNCF choisit un patron réformiste dans la ligne de celle de Thibault, elle aura peut-être des chances de s’en sortir. Si c’est un poulain de Le Reste, ce sera une autre paire de manches. », conclut un observateur. Ligne de chemin de fer ou ligne de fer…