Pauvre Premier ministre ! François Fillon se voyait enfin en haut de l’affiche, las, il n’est qu’un second couteau.
Jeudi 27 septembre, le ministre de l’Education nationale, Xavier Darcos annonçait à la télévision la suppression de l’école le samedi. Une petite révolution. Avant de faire cette intervention, il n’a même pas informé le Premier ministre. Du jamais vu ! Le ministre avait peur que le PM ne s’empare du dossier et ne se précipite pour l’annoncer lui-même. Darcos a simplement pris soin d’obtenir l’aval du chef de l’État, la veille, lors du Conseil des ministres, en lui faisant passer un petit papier. Et Sarkozy n’a pas sourcillé. Quand Rama Yade s’est fait réprimander par François Fillon, pour être allé rendre visite aux expulsés d’Aubervilliers, le chef de l’État l’a immédiatement appelée pour la réconforter et la soutenir. Il a demandé à ses ministres de l’audace, encore de l’audace. Ils ont reçu comme consigne de flirter en permanence avec la ligne jaune des convenances et il est le seul à délivrer des félicitations ou des cartons jaunes. Non seulement Nicolas Sarkozy et ses conseillers saturent l’espace médiatique, ne laissant pas une once d’oxygène à François Fillon, mais en plus le chef de l’État court-circuite totalement le processus de decision-making fixée par la Constitution qui stipule que c’est le chef du gouvernement qui conduit l’action du gouvernement. Or, durant toute sa carrière, François Fillon s’est senti mal aimé, humilié, négligé. En 2005, il avait très mal vécu son éjection du gouvernement. Chirac l’avait appelé pour lui dire : « Désolé, il n’y a plus de place pour toi », sans plus d’explication, alors que depuis des mois il entretenait l’idée qu’il pourrait le nommer Premier ministre ! Là, enfin, il croyait tenir sa revanche. Et il compte pour du beurre. Coordonner l’action du gouvernement quand tout se décide, tout se négocie, tout se concocte à l’Élysée ? Personne ne prend jamais le soin de consulter Matignon, si ce n’est les sans grades, au point que ses 60 conseillers sont quasiment au chômage technique.
Ses déplacements en province font l’objet de petits articles en fin de rubrique politique. Le Premier ministre n’intéresse personne. Pour se faire entendre, il force la dose. Parle de faillite de l’État. En plus, il pense ce qu’il dit, car Fillon est un garçon honnête, qui aime que les choses soient bien rangées. Et il n’apprécie pas trop Henri Guaino, avec ses idées économiques iconoclastes. Il pense qu’il faut remettre de l’ordre. Alors qu’on le classe dans la catégorie séguiniste, c’est-à-dire partisan d’une politique volontariste, en réalité, voilà des années qu’il s’est converti au libéralisme. Et les libéraux sont très réservés sur les chances de succès de la politique sarkozienne. L’ennui, c’est que Fillon n’est pas ce qu’il croit : un homme politique d’envergure. Aucun moyen de s’opposer. De marquer son territoire. Toujours l’homme de quelqu’un. De Le Theule à ses débuts, puis de Séguin, puis de Chirac, dont il se vante d’avoir écrit le programme en 2002, puis de Sarkozy quand Chirac l’a jeté. Il a été vexé d’avoir été traité de collaborateur. Mais dans l’esprit de Sarkozy, Fillon en est effectivement un. Pour le Président, le programme de l’UMP n’a pas été élaboré par Fillon, comme se dernier se plait à le répéter, mais par Emmanuelle Mignon, une grosse tête – major de l’Ena, diplômée de l’Essec –, devenue sa directrice de cabinet à l’Élysée. Fillon était simplement le porte-parole, il a servi d’habillage politique. Qui plus est Fillon n’est pas aussi proche de Sarkozy qu’on le dit. Au cœur de la campagne, à la mi-février, quand Pierre Méhaignerie, Gilles Carrez, Christian Blanc ont été tirer la sonnette d’alarme chez Fillon, s’offusquant du montant des promesses faites par le candidat – baisses fiscales, allocation premier enfant, droit opposable au logement… –, en réalité, Fillon pensait comme eux…
Frustré d’être tenu en dehors du jeu, Fillon commence à douter. D’une certaine façon, en évoquant un État en faillite, il prend date. Si un jour les déficits atteignaient des niveaux insupportables, si il y avait crise grave avec Bruxelles, s’il devait quitter le gouvernement, il pourrait se targuer d’avoir dit la vérité aux Français, pour reprendre le titre de son livre : Les Français peuvent supporter la vérité. Il y a bien un grave dysfonctionnement au sommet. La dyarchie ne fonctionne pas. Et comme dit un ministre : « Il est temps que Balladur rende ses conclusions sur la réforme de la Constitution et qu’on redéfinisse clairement le rôle du Premier ministre, ou qu’on le supprime. »