Flic Story

Le philosophe a dit, « un flic intelligent, c’est un flic qui ne sait ni lire ». Quitte à conforter le penseur dans sa saillie anti-policière, dans la maison poulaga, l’on ne goûte guerre aux flics qui écrivent, ces intellectuels. Particulièrement ceux qui écrivent juste. La preuve avec le commandant Pichon, en poste dans la tranquille Coulommiers (Seine-et-Marne) et auteur de Journal d’un flic (Flammarion). Un petit carnet de bord de son expérience de 1989 à 2007 qui n’a pas eu l’heur de plaire à la hiérarchie. La faute, sans doute, à un parler vrai, au succès du livre, à un ton et une analyse fort peu sarkozyste. « L’idée d’écrire m’est venue après les émeutes urbaines de 2005 », confesse l’auteur, « on a oublié que l’objectif ultime de la police est la paix sociale ». Evidemment, ça peut en agacer certains.

Le commandant y a pourtant mis les formes. Pondant rapport sur rapport à partir du 5 février sur la nature de son ouvrage, le rappel des textes de lois sur la liberté d’expression des fonctionnaires de police, assorti de différents plannings de rendez-vous presse. Un de ses multiples rapports s’est même accompagné de la première et quatrième de couverture du bouquin, à paraître le 18 mars. Sans susciter d’autres réactions que celle, sympathique, des RG de Seine-et-Marne : « ils vont te briser ». Charmante mise en garde qui prendra forme en avril.

Le 20 avril soit un mois après la sortie de son livre, lui parvient une note de mise en garde de la part de la direction centrale de la sécurité publique, première étape de procédure disciplinaire. En cause, ses manquements au « devoir de réserve » et à « l’autorité de sa hiérarchie », malgré la pile de rapports précédents.

Puis le 23 avril, son supérieur direct lui adresse une lettre d’observation arguant de son « manque de motivation ». Le même jour, sur insistance de la direction de la direction générale de la police nationale, le flic Pichon est tout bonnement interrogé par la direction départementale de la sécurité urbaine. Un entretien tout sauf cordial, inscrites sur un procès-verbal administratif, procédure pudiquement qualifiée « d’étrange » par les juristes. En cas de manquement, le trajet normal passe par le conseil de discipline, une procédure contradictoire etc. Là rien d’autre que huit questions, officiellement sur sa « baisse de motivation » et donc ses manquements « au devoir de réserve ». Mais l’entretien dévie rapidement sur son livre, « pourquoi écrire ça ». La rencontre se termine sans que le littéraire Pichon ne signe des sacro-saints « lu et approuvé » le PV et un « ils vous briseront » de circonstance.

Croire toutefois que les grands flics n’aiment pas la littérature serait un mauvais procès. Les mannes de Vidocq veillent toujours. Pour preuve, Jean-François Arlaud et son livre qui honore tant Nicolas Sarkozy que Jean-Pierre Pernaut, Délinquance et insécurité, combien ça vous coûte (Publibook). Commandant de police également, Arlaud ne s’est fait pas taper sur les doigts, ni reproché un quelconque manquement au droit de réserve. Sans doute son oeuvre a-t-elle été mieux encadré. Arlaud a la chance affecté à l’Institut national des Hautes Etudes de sécurités, où a été nommé tout récemment par l’alors ministre des Contraventions Nicolas Sarkozy un certain Pierre Monzani. Criminologue, Monzani présente d’autres références. « Pasqua c’est mon père », a l’habitude de clamer le porte-parole de La droite libre, club assez droitier de l’UMP. Avec de tels parrainages, son livre ne pouvait qu’être un succès hiérarchique.