Les Etats-Unis perdent le contrôle et Rodrigo de Rato, le directeur général du FMI, s’envole. Ses échecs, démonstrations sine qua non d’une Amérique peu écoutée, annoncent la fin d’un ordre surpuissant. Place aux autres.
Le FMI n’est plus ce qu’il était. Il risque même de n’être plus du tout. Les altermondialistes qui le conspuaient en Allemagne mi-juin ne se doutaient probablement pas que leur premier allié dans le combat pour s’en défaire est le président Bush en personne. En effet, tant que le FMI s’occupait des pays pauvres endettés avec comme objectif ultime de leur faire rendre gorge, tout le monde louait sa sagacité économique. Mais aujourd’hui, tout a changé : la hausse du cours des matières premières, pétrole et charbon en tête, l’efficacité réelle sur le plan financier des politiques d’ajustement structurel et les annulations de dettes dont les conditions faisaient les beaux jours des G7 devenus G8 ont fait disparaître l’essentiel de la dette internationale. Ou plutôt, elles ont modifié la liste des prêteurs et des emprunteurs.
La Russie avait fini en 1998 le XXe siècle comme elle l’avait commencé en 1917 : par une bonne petite banqueroute. En 1917, cela s’était terminé par Lénine puis Staline. En 1998, l’affaire s’est soldée par le FMI puis Poutine : finalement, le monde évolue plutôt bien, même si ce n’est pas parfait ! ! Maintenant, la Russie parle haut et fort, rachète la dette grecque et investit partout en Europe.
Aujourd’hui, le pays le plus endetté, ce sont les Etats-Unis. Et tandis qu’ils s’endettent, le FMI s’entête. Il prétend préparer l’après –dollar que les déficits américains rendent de plus en plus inéluctable. Or, évidemment, il n’est pas question que le FMI se mêle de la politique économique américaine. Il est donc urgent de le ramener à la raison. Résultat, on le promène de faux problèmes en vrais reculs. Les remarques sur la dérive des finances publiques des Etats-Unis : à la trappe !! Les habitants de Los Angeles ou de New York ne vont tout de même pas se mettre à payer des impôts comme un vulgaire Argentin structurellement ajusté. En revanche, le poids relatif des votes aux Assemblées générales du Fonds de la Chine, du Mexique, de la Corée et de la Turquie : vrai sujet !! Débattons, réunissons-nous, colloquons et que le café et les banalités coulent à flot. Résultat, Rodrigo de Rato, le directeur général du FMI, préfère tirer sa révérence. Sur quel bilan ?
Il n’aura pas réussi à convaincre la communauté internationale de la nécessité de régler le problème du déficit extérieur américain ; il aura provoqué les ricanements crispés de la Chine dans ses attaques tellement téléguidées par les Américains sur le cours du yuan ; il aura essuyé un refus poli mais ferme de ses mandants dans sa volonté de vendre une partie de l’or des banques centrales. Trois échecs, trois fours, ce qui explique sa grande lassitude. Les Européens qui tiennent traditionnellement le poste cherchent un candidat. Tony Blair est sur les rangs. Washington ne fera probablement pas opposition. Surtout que maintenant qu’il va devenir catholique, il prolongera une tradition amorcée avec les Français Jacques de La Rosière et Michel Camdessus : celle du catholique pratiquant qui ne manque aucune messe à la basilique de Washington et souffre avec beaucoup de dignité de devoir étrangler les pauvres. Avec cette nouveauté que maintenant, ce sont les riches qu’il faudrait étrangler. Rassurons nous, nous n’irons qu’en même pas jusque là.
Conséquence paradoxale : le FMI qui vivait naguère de la dette des pays en voie de développement, n’ayant plus rien à se mettre sous la dent de ce côté-là, n’équilibre plus ses comptes. On parle de supprimer des emplois dans l’austère maison de la finance mondiale. Quand ce n’est pas de tout faire disparaître comme le rêvent les néo-conservateurs américains. Rato a tout compris : courage, fuyons !!
Il est étonnant de faire le bilan du travail de R. Rato à la tête du FMI sans évoquer l’initiative de réduction de la dette envers les pays les plus pauvres qui a, seule, plongé les résultats financiers de l’institution dans le rouge en 2006. Avec, pour 2007, 180 milliards de dollars de capacité d’engagement et un ratio de liquidité de 600%, la stabilité financière du FMI n’est pas vraiment en question et les licenciements ne sont donc sans doute pas d’actualité. A titre de comparaison, le fonds a traversé tranquillement une période sans émission importante de nouveaux prêts. C’était dans les années 1970.
Il est tout aussi surprenant d’oublier le souci permanent de R. Rato d’impliquer les pays asiatiques dans la gouvernance même de l’institution, sur les conseils de Mervyn King. Retenant les leçons de la crise de 1997, ces derniers sont aujourd’hui devenus des créditeurs. Ils refusent le régime de change flottant. Ils doivent donc privilégier l’épargne sur l’investissement domestique. S’ils dégagent de tels surplus, il faut que quelqu’un soit en déficit. Or les USA sont les seuls qui peuvent s’endetter ainsi. Il n’est peut-être pas scandaleux, comme le souligne R. Rato, de prétendre que les économies asiatiques, Chine en tête, stérilisent ainsi une partie considérable de leur épargne, placée à un taux d’intérêt faible sur des actifs qui peuvent se dévaloriser rapidement, alors que leur population mériterait probablement une autre politique qui favoriserait, par exemple, la redistribution, la consommation et donc l’emploi (qui n’a progressé en Chine que de 1% entre 1993 et 2004). En l’absence d’un tel ajustement, il est d’ailleurs envisageable que le protectionnisme américain renaîtra et sera brutal, comme semblent en témoigner les récentes propositions des candidats Barrack Obama et Hillary Rodham Clinton, et que la bulle spéculative chinoise deviendra incontrôlable, malgré les déclarations déjà alarmistes de la banque centrale de la Chine populaire. Un tel risque était aussi envisagé par R. Rato. Ce dernier a donc probablement travaillé autant pour le trésor public américain que pour le peuple chinois…