En Israël, l’écrivain français Henri Raczymow marche sur les traces de son frère qui, 40 ans plus tôt, partit en voyage pour tenter de contribuer à la création d’un État laïc et socialiste, où Juifs et Arabes vivraient ensemble.
Étienne, le père d’Henri Raczymow, était un héros. Celui que nous aurions envie d’être s’il n’y avait l’horreur des caves humides de la milice et de la Gestapo, avec les chaînes, les pinces, l’eau et le feu des tortures. Cet homme debout, dans une France à genoux, était membre des FTPMOI, la Résistance communiste essentiellement composée d’« étrangers », donc de Juifs.
Petit-fils d’immigrés polonais venus en France en 1920, Henri Raczymow est, comme son père, un héros. Plus ordinaire. Sans autre crainte que d’être fusillé avec des mots. Ceux des adeptes les plus radicaux, ou les plus aveugles, c’est au choix, de la religion juive. Eretz, le dernier livre de l’écrivain, est le recueil d’un désenchantement, Raczymow le décrit avec une franchise qui lui semble assignée par sa culture familiale : chez les FTPMOI, on ne mentait pas.
Quarante ans après avoir séjourné en Terre promise, il y revient. En particulier sur les traces de son frère, Alain qui, lui, a vécu quatre années en Israël, service militaire inclus, pour un retour, une alya avortée : « Il avait la prétention de contribuer à construire dans ce pays quelque chose comme un État “socialiste” et “laïc” où Arabes et Juifs vivraient ensemble, fraternellement. Ce rêve a fait long feu. Il est revenu en France plein d’une douloureuse désillusion. » Henri cherche à comprendre ce désarroi d’un frère, mort en 1997 sans jamais avoir retrouvé la paix.
Après Mai 68, avec la reprise en main d’un gaullisme aussi dur qu’affairiste, l’automne est bien plus triste que d’habitude. Alain – Ilan – Raczymow quitte la France et « l’Europe des anciens parapets » via Marseille, vers Haïfa : un kibboutz et l’armée l’attendent. Henri admire ce frère qui passait à l’acte : « Moi qui m’étais casé, lui s’était cassé. » Il lui rend régulièrement visite, là-bas, étonné par ce qu’il voit. « Les gens m’y semblèrent brutaux. Par exemple, ils se battaient pour monter dans un autobus, alors même que les places ne manquaient pas. » C’est cette brutalité, et l’obligation qu’on lui fait d’encercler des villages palestiniens avec des fils barbelés, qui transforme Ilan, militant du rêve, en un refuznik, en soldat qui dit « non ». Il rentre en France pour adhérer à « un groupuscule trotskiste qui prône la destruction d’Israël ».
En avril 2009, pour trois mois, Henri Raczymow s’installe à Tel-Aviv, « ville athée », avec sa compagne, Anna Amzallag. L’écrivain s’étonne des gens qui vivent ici, le corps dans la mer. Il cite Amos Oz : « Qui avait jamais entendu parler de Juifs bronzés, qui savaient nager ? » Il n’y a pas de place pour une tendresse, une faiblesse qu’il pourrait ressentir envers ce pays pour lequel son frère était prêt à donner sa vie. Raczymow est trahi par son oeil, dont la découpe au laser est guidée par le coeur et la raison. Toujours la ligne générale de l’intransigeance : il est incapable d’écrire autre chose que ce qu’il voit et ressent. Quand il se rend à Gilo, chez ses cousins colons « de droite ou d’extrême droite », Henri reprend l’argument qui leur arroge un titre de propriété : la Torah. Puis, destructeur de vérités molles, l’écrivain ajoute : « Pour étayer ces certitudes, un petit coup de pouce : le fusil. »
C’est en progressant ainsi, à l’aquarelle et au bazooka, qu’avance ce témoin qui ne trouve plus ses traces dans le paradis manqué. Le texte, aux images rapides d’un guide inspiré, est doux, écrit avec la conviction du désespoir. Finalement cet Henri Raczymow, qui ne pleure pas à la Marseillaise mais quand retentit Hatikva, ne se sent quand même pas très bien chez les juifs, moins mal chez les musulmans et mieux chez les chrétiens, veut bien être juif en France mais « pas chez les corbeaux de Jérusalem ». En panne d’identité, il se demande si ses vraies racines ne viennent pas du royaume des Khazars, ces Turco- Mongols convertis au judaïsme, qui auraient donné naissance aux ashkénazes… Puisqu’en Israël il n’a pas retrouvé « cette improbable utopie qui aujourd’hui n’a plus cours ».