Alors qu’au Koweït se réunit la conférence internationale des pays voisins d’Irak, il n’y a pas que le Pentagone ou la CIA qui pondent des rapports pointus sur la situation militaire irakienne. Les groupes sunnites locaux qui luttent contre « l’occupation » américaine s’y mettent aussi, en recopiant les sources américaines…
Le Président Bush a annoncé le 10 avril que les forces américaines resteront en Irak « aussi longtemps qu’il le faudra ». Elles seront donc présentes après la fin de son mandat, en février 2009, et le successeur de Bush, qu’il soit démocrate ou républicain, devra se débrouiller et gérer l’héritage. Cette information n’a pas échappé à ceux qui, en Irak, se battent au quotidien contre « l’occupation » américaine.
Ainsi, les stratèges de l’Etat islamique d’Irak (EII), le principal groupe actif sur le terrain, ont compris que le sort des troupes américaines était devenu un enjeu-clé des élections américaines. Et n’ont donc pas loupé une miette des débats sur le sujet entre les candidats en lice pour la Maison-Blanche. En effet, les démocrates Barack Obama et Hillary Clinton prônent tous deux le retrait des troupes et une révision de la stratégie américaine en Irak tandis que le républicain John McCain est partisan du maintien de la ligne Bush.
Construit comme un rapport de synthèse, le document de l’Etat Islamique d’Irak circule depuis quelques jours sur les forums internet djihadistes. Il se veut sérieux et croise volontiers les sources pour mieux convaincre. Du coup, les moudjahidines irakiens se sont amplement inspirés des chiffres, sondages et analyses utilisés aux Etats-Unis par les partisans de la ligne anti-Bush afin d’étayer leur propre bilan de la guerre dressé « à l’occasion des cinq ans d’invasion croisée en Irak ».
Aussi, pour démontrer les conséquences de la défaite américaine sur le plan militaire, les statistiques reprises sur le nombre de morts américains ou de déserteurs sont ponctuées de très rigoureux « selon le Pentagone ». Mais aussi de références à « des rapports militaires » émanant de hauts gradés américains pour évoquer les tentations suicidaires, les problèmes psychologiques et conjugaux identifiés chez les vétérans.
Même topo pour le bilan économique de la guerre. Si des gens très bien, surtout parmi les démocrates américains, affirment qu’elle est un gouffre financier, pourquoi s’en priver ? On peut ainsi lire dans le « rapport » de l’Etat Islamique d’Irak que « le coût estimé pour cette guerre selon un rapport du Pentagone a atteint les 600 milliards de dollars, alors qu’Hillary Clinton a déclaré que le coût était d’un trillion. (…) Ce chiffre est suffisant pour dispenser des soins de santé à 47 millions d’enfants américains, résoudre la crise du logement et rendre l’accès à l’éducation universitaire possible pour chaque Américain » (sic) !
Pis : « le coût à long terme sera de 4 trillions », selon l’évaluation du Prix Nobel d’économie, le pro-démocrate Joseph Stiglitz, qui fait visiblement référence au sein des « anti-croisés » irakiens. Comme le résume Charles Schumer, le sénateur démocrate de New York, lui aussi cité, « l’administration Bush n’a toujours pas de stratégie de sortie claire pour nos troupes, et de calcul des coûts pour notre budget et notre économie ». A croire que l’Etat Islamique d’Irak aime Big Apple…
Histoire d’enfoncer le clou, le « rapport » de l’Etat Islamique d’Irak reprend un sondage d’opinion sorti aux Etats-Unis montrant « que la grande majorité des Américains pensent que l’économie est un élément majeur dans l’élection du futur président et que la guerre est secondaire ». Bref, sur fond de crise économique, l’opinion américaine n’est plus disposée à accepter de payer de sa poche et votera en conséquence. Vu que c’est CNN qui le dit… Dernier détail croustillant, seul Barack Obama n’a pas eu l’honneur de figurer parmi les « sources » de ce bilan version djihadiste irakien. Un signe ?
"l’Etat islamique d’Irak (EII), le principal groupe actif sur le terrain"
L’Etat islamique d’Irak comprend 7 organisations, Le Front du Djihad et du Changement : 8 organisations, Le Haut commandement du Djihad et de la Libération sous la présidence d’Izzat Ibrahim Al Douri - chef du Baas clandestin - regroupe 22 organisations.
Il faut savoir que la plupart des autres groupes sunnites que vous citez ont retourné leur veste, et luttent désormais contre l’EII, suite aux négociations, accompagnées de nombreux "avantages", que les Américains ont menées auprès d’eux. Ils sont d’ailleurs régulièrement fustigés par l’EII - y compris dans le "rapport" cité dans l’article - comme par Ben Laden soi-même, et leurs dirigeants figurent sur leur liste noire…
Cette stratégie de retournement a d’ailleurs permis aux Etats-Unis de revendiquer à la fois des "victoires" sur le terrain, puisque ces groupes oeuvrent désormais contre le même ennemi que les US, et d’affirmer que le contexte sécuritaire en Irak s’était amélioré…
L’EII reste aujourd’hui le principal groupe qui lutte contre les forces américaines et les autorités locales.