Quand des Corses échouent à monter un casino à Dakar, c’est forcément grâce à l’immense pouvoir de la presse.
Les « Fortune’s club », ces casinos du pauvre, n’ont pas encore pignon sur rue à Dakar. Ce n’est pas faute d’avoir essayé. Grands promoteurs des machines à sous, casinos et autres jeux de hasard en Afrique centrale, le clan corse des Tomi-Feliciaggi (voir-ci contre) a pourtant bien tenté d’implanter des milliers de bandits manchots dans la capitale sénégalaise. En 2002, tout est bien engagé. Dans les quartiers les plus pauvres de Dakar, notamment Grand-Yoff, les enseignes « Fortune’s club » sont dressées, les entrepôts loués, les machines prêtes à être déballées. Mieux, une société la Senecyrnea des jeux et loisirs (SJL), reçoit l’agrément du ministère de l’Intérieur pour exploiter des machines à sous, dans un pays où les jeux d’argent sont interdits aux nationaux. Las, des journalistes sénégalais tatillons s’en mêlent. Après enquête, ces maudits gratte-papiers découvrent les noms des actionnaires de la SJL. Des noms qui flirtent bon la Corse pasquaïenne. Tomi, Mondoloni, Giacomoni… La proximité entre Michel Tomi et Pape Diop, alors président de l’assemblée nationale est mise à jour. Pire, via sa femme, ce cacique du parti démocratique sénégalais du président Wade aurait une participation dans la société. Scandale, fermeture des Fortune’s club et quelques années plus tard (fin 2005), déguerpissement du clan « Corse ». « Il est impossible de faire des affaires dans ce pays », lâchera, dégouté, Michel Tomi, lesté de quelques millions d’euros dans l’affaire.
Bien résumé et approfondi dans le livre du journaliste Pape Samba Kane Casinos et machines à sous au Sénégal, le poker menteur des hommes politiques, les Corses jettent une ombre sur nos lois, l’histoire est magistrale. La presse et l’opinion ont vaincu l’affairisme et la corruption politique, préservant les Sénégalais d’un fléau qui a déjà frappé Gabon, Congo, Cameroun etc…. Un scénario beau comme l’antique, à une réserve près.
Natifs d’Afrique, originaire de corse, le couple Michel Tomi-Robert Feliciaggi, dit « Bob l’Africain », a bâti un véritable empire des jeux en Afrique centrale. Casino au Gabon, au Congo-Brazzaville, jeux de hasard au Cameroun, machines à sous à Abidjan, l’éventail est large. Cerise sur le gâteau, ils ont réussi à introduire des PMU dans des pays où aucun cheval n’est décelé. Les parieurs misent sur les courses françaises et les gestionnaires n’ont même pas besoin de verser une redevance aux organisateurs de course française. Mais cette idée de génie leur vaudra une petite publicité. La gérante du PMU gabonais, Marthe Mondoloni, fille de Michel Tomi, avance sept millions et demi d’euro au RPF, le parti de Charles Pasqua pour les élections européennes de 1999. Un prêt auquel la justice s’intéressera fortement…d’autant que le duo est très proche de Jean-Jérome Colonna, longtemps présenté comme Le parrain Corse. Proche d’Omar Bongo, avec la famille duquel son fils Jean-Baptiste a créé une compagnie d’aviation Afrijet Business Service, Michel Tomi s’était un peu éloigné en début d’année de Robert Feliciaggi. Sage et prudente décision. Le 10 mars, « Bob l’Africain » est assassiné, d’une balle en pleine tête, à la sortie de l’aéroport d’Ajaccio.
Hôtel-restaurant-boîte de nuit-casino, le Café de Rome est un lieu très prisé, tant de la jeunesse dorée de Dakar que des hommes politiques. Avant l’alternance, il n’était pas rare d’y croiser Fabienne Diouf, fille de l’ancien président. Désormais, Karim Wade s’y attable souvent. De multiples conférences de presse ou dîners d’affaires s’y déroulent. Bref un endroit utile pour nouer des contacts ou négocier un arrangement au calme.
Et les natifs de l’île de beauté, fidèles à leur réputation, n’aiment guère qu’on veuille troubler leur tranquillité. Surtout si ce sont des compatriotes à la réputation sulfureuse qui viennent empiéter sur leurs plates-bandes. Aucune guerre n’a toutefois été déclarée. Plutôt une partie d’échec. « Les Corses se battent rarement sur le continent ou vraiment en dernier ressort. La première étape consiste à taper aux portes des politiques, puis à laisser fuiter des infos dans les journaux ». Ah… tant pis pour le scénario idéal. Et ensuite ? « Eh bien on se réunit », résume ce « soldat privé », habitué à assurer la sécurité de ces réunions pour le clan Tomi, « on discute et on trouve un accord qui satisfait à peu près tout le monde ». Et l’on arrose cela de liqueur de châtaigne ?