Alors même que l’institution -indépendante- est en sursis, les agents de la Halde n’ont pas vraiment goûté la soumission de leur présidente Jeannette Bougrab aux injonctions gouvernementales.
Ces derniers jours, la présidente de la Halde a promené son indignation sur tous les plateaux de télé et de radio. Jeannette Bougrab n’a pas hésité, après le vote de l’Assemblée nationale, à dire – enfin - tout le mal qu’elle pensait d’une réforme des retraites qui touche particulièrement les femmes. Une indignation ciblée et consensuelle qui contraste avec la paisible indifférence de la Haute autorité à l’égard des Roms et des gens du voyages depuis l’arrivée de Mme Bougrab. Interrogée par RTL elle s’était ainsi déclarée « pas choquée » sur les expulsions des Roms, provoquant au sein de l’institution la consternation.
Il est vrai que, comme le révélait Bakchich Hebdo la semaine dernière, Jeannette Bougrab avait reçu, dès le mois de mai, des consignes explicites de Matignon pour lever le pied sur la question des Roms comme des gens du voyage. Ce qui s’est très concrètement traduit par l’arrêt immédiat des délibérations de la Halde sur ces questions.
La Halde, qui n’a toujours pas souhaité répondre aux questions de Bakchich sur sa politique à l’égard des Roms et des gens du voyage a fini par publier un communiqué rappelant qu’elle n’avait été saisie d’aucune réclamation individuelle émanant de « Roms » et que concernant les gens du voyage, plusieurs instructions étaient en cours.
La Halde qui a reçu plus de 10 000 réclamations par an, instruit ces dossiers puis choisi de donner suite lors d’une délibération de son collège. Depuis que Jeannette Bougrab est arrivée, aucune n’a concerné les Roms ou les gens du voyage (contre 6 sur 29 dans les trois premiers mois de 2010 et une proportion quasi similaire en 2009). Cela a-t-il un lien avec le fait que, comme l’ont rapporté plusieurs témoins à Bakchich, Jeannette Bougrab ait reconnu avoir reçu des instructions en ce sens de Matignon ?
Concernant les Roms, la Halde est taquine. Sa dernière délibération – avant instruction de Matignon – concerne une vingtaine d’enfants Roms (Délibération relative au refus de scolarisation d’une vingtaine d’enfants de familles Roms de Roumanie n° 2009-233 du 08/06/2009). Quelques mois plus tôt, la Halde ne mâchait pas ses mots dans une autre délibération (du 06/04/2009) :
« La HALDE a adressé en janvier 2008 des recommandations au gouvernement concernant le stationnement sur des aires d’accueil aménagées. A l’exception d’une circulaire de novembre 2008 sur la carte d’identité, la HALDE constate que ses recommandations n’ont pas encore été suivies d’effet. Lors du premier sommet européen sur les Roms organisé le 16 septembre 2008, la Ministre du Logement et de la Ville, avait souligné que les discriminations dont sont victimes les Roms était une priorité de la Présidence française. La HALDE rappelle ses recommandations au Premier Ministre, au Ministre de l’Intérieur, de l’Outre-mer et des collectivités territoriales, au Ministre de l’Education nationale et au Président de l’Association des Maires de France (AMF) ».
Depuis, l’autorité indépendante a étrangement baissé d’un ton. Aux ordres ?
Au sein de la Halde, le malaise est palpable. Alors même que l’institution est en sursis, promise à être fondue dans le futur Défenseur des droits, les agents n’ont pas vraiment goûté la soumission de leur présidente aux injonctions gouvernementales.
« C’est lamentable quand on sait tout le travail que nous avons fait depuis des mois sur ce sujet », déplore un salarié : « La Halde avait l’une des positions la plus avancée des pays européens et avait même reçu les félicitations de l’Onu. Mais le moins qu’on puisse dire c’est que ça ne plaisait pas à certains élus ». Or Jeannette Bougrab, arrivée en avril à la tête de la Halde n’a manifestement pas l’intention de faire de vagues.
Celle qui affirme vouloir se battre « comme une tigresse » pour préserver l’avenir de la Halde, a surtout eu à cœur depuis sa nomination en mars dernier de ne pas froisser l’exécutif. L’époque où la Halde engageait un bras de fer contre les tests ADN réservés à certaines nationalités, ou s’auto-saisissait sur la directive européenne concernant les étrangers extra-communautaires est bel est bien révolue. D’ailleurs lorsqu’il y a quelques jours, un journaliste de Beur FM ose lui demander si le climat actuel favorise les discriminations, Bougrab qui se fait répéter plusieurs fois la question, perd son sang-froid « Je ne suis pas là pour venir commenter de la politique ». Et, ulcérée, tacle le journaliste hors antenne : « de toutes façons vous attendez que je bave sur Sarkozy ! »
Si Jeannette Bougrab est fébrile, c’est sans doute parce qu’elle est confrontée à une crise interne sans précédent depuis la création de la Halde en 2005, suite aux émeutes en banlieue. Ces dernières semaines, pas moins de cinq agents ont donné leur démission. Parmi eux des cadres très impliqués de la Halde qui n’ont semble-t-il plus supporté le comportement de la nouvelle présidente. "Le climat est très pesant", reconnaît Jean-Luc Rageul, à la tête de la section CFDT.
Début juin, suite au malaise d’une salariée que beaucoup de ses collègues disent soumise à d’énormes pressions, une manifestation s’organise devant le bureau de la présidente pour dénoncer un "management brutal et irrespectueux". Décrite par certains comme "tyrannique", voire "odieuse" avec les agents, dont l’essentiel a tenu à rester anonyme, le moins qu’on puisse dire c’est que Jeannette Bougrab a créé un sentiment de défiance dans l’ institution. "Les gens sont terrorisés. Même les plus grandes gueules n’osent plus rien dire. Quand on sait qu’il y a à la Halde de très brillants juristes qui ont une connaissance technique de ces questions bien plus grande que Jeannette Bougrab, c’est un vrai gâchis qu’ils ne soient plus écoutés",
En revenant sur une décision prise par le collège de la Halde concernant une salariée voilée licenciée d’une crèche privée, que la Halde avait soutenue, Bougrab a jeté le trouble. "Cela donne le sentiment d’une remise en cause de la compétence des agents", regrette Jean-Luc Rageul.
De même, sa quasi absence – elle passera cinq minutes - lors du séminaire des agents, une rencontre organisée une fois par an pour faire remonter les dysfonctionnements et les points de blocage au sein l’institution, a été particulièrement mal vécue. « Le plus grave, affirme un juriste, C’est qu’on ne peut plus travailler. On nous demande de faire du chiffre mais dans le même temps on voit tous les dossiers sensibles s’accumuler. Il y a clairement des sujets dont on ne peut plus parler ». Nostalgiques, certains agents regrettent l’ère Schweitzer « qui connaissait ses dossiers sur le bout des doigts », quand Jeannette Bougrab semble plus approximative.
Car, pour beaucoup de salariés, si Jeannette Bougrab n’a pas la tête à ses dossiers, c’est qu’elle vise avant tout le coup d’après et prépare son avenir à la tête du futur défenseur des droits. Et pourquoi pas un maroquin ?