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Béart au cœur des ténèbres

Cinéma / mardi 30 septembre 2008 par Marc Godin
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En Thaïlande, Emmanuelle Béart se lance à la recherche de son fils, emporté par le tsunami. Entre sublime et ridicule, « Vinyan », le second long-métrage du Belge énervé, Fabrice du Weltz.

J’avoue, j’avais plutôt bien aimé « Calvaire », sorte de « Délivrance » trash made in Belgique. Pour des raisons avouables – le talent de son réalisateur, la photo du génial Benoît Debie (« Irréversible ») – et d’autres beaucoup moins, notamment une vision hallucinante d’une campagne peuplée de péquenots zoophiles, et surtout le long chemin de croix de l’insupportable acteur tête à claques Laurent Lucas. Calamité du cinéma français au même titre que Charles Berling, Vincent Elbaz ou Louis Garrel (ça y est, je vais encore me faire des amis cette semaine), Lucas s’y faisait séquestrer, frapper, tondre, sodomiser, crucifier, et ce pendant 90 minutes. Bref, on avait l’impression que le réalisateur belge Fabrice du Welz prenait un malin plaisir à fracasser la belle gueule de Lucas et nous vengeait enfin de toutes les daubes que l’acteur nous a infligées.

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C’est donc peu dire que j’attendais « Vinyan », me demandant quels outrages du Welz allait faire subir à notre Emmanuelle Béart nationale. Encore ruisselante de sa performance dans « Disco », Emmanuelle délaisse le justaucorps et incarne Jeanne, mère inconsolable depuis la disparition de son fils, emporté par le tsunami de 2004. Persuadée que son enfant est toujours en vie et qu’il a été kidnappé, Jeanne est restée sur l’île de Pukhet en Thaïlande avec son mari et s’accroche désespérément au fait que le corps n’a jamais été retrouvé. Un jour, elle tombe en arrêt devant une vidéo. Un enfant en short, de dos. Cet amas de pixel, elle en est sûre, c’est son fils, d’ailleurs il porte le même maillot de foot ! Jeanne va alors s’accrocher à cet espoir fou et mettre tout en œuvre pour retrouver son fils. Tout d’abord sceptique, son mari décide de partir pour la Birmanie, à la recherche de cet enfant fantôme. Un voyage en forme de requiem commence…

Enfants tueurs

« Vinyan est un fantasme de cinéma, une expérimentation transgressive qui doit beaucoup à mon amour pour le grand cinéma paranoïaque des années 70. » A l’origine de « Vinyan » donc, la passion du réalisateur pour les films d’enfants tueurs (c’est possible !) et des œuvres comme « Sa majesté de mouches » ou « Les Révoltés de l’an 2000 » (qui vient de ressortir en DVD chez Wild Side), un de ses films préférés. Du Weltz aime le fantastique, les émotions fortes, le cinéma qui tâche. Il part donc d’un postulat insoutenable – la mort d’un enfant – et va fouiller les entrailles des deux parents. Comment survit-on à l’enfer, comment continuer, comment faire revivre son couple ? Cinéphile malin donc, du Welz connaît par cœur « Ne vous retournez pas », grand film formaliste de Nicolas Roeg sur l’impossibilité du deuil, et en régurgite des séquences entières. Son film, exigeant et maîtrisé, est également une belle métaphore sur le couple qui s’éloigne, se perd, se délite, un peu comme dans « Un thé au Sahara ». « Vinyan », c’est donc du lourd, du sérieux, du Weltz veut passer à la vitesse supérieure et laisser derrière lui ses bouseux sodomites et ses provocations trash. Mais on sent que toutes ces considérations sur le couple ou le deuil n’intéressent pas vraiment le jeune réalisateur dont l’ambition ultime est de tricoter un grand film hypnotique, un film de fantômes, un véritable voyage dans l’univers mental de son héroïne, en louchant doucement vers « Apocalypse now », Stanley Kubrick ou certains Werner Herzog.

Fume, c’est du Belge

Dès le sublime générique immersif qui évoque le tsunami, on est dans un trip sensoriel, halluciné. « J’essaye de trouver l’équilibre parfait entre la forme et le fond, assure le Belge. Aujourd’hui, les thèmes sont tous connus ; ce qui fait la différence, c’est le style. » Bref, c’est plein les yeux, plein les oreilles, plein la gueule, mais avec un scénario à bout de souffle au bout de 45 minutes, on tombe bientôt dans le truc, le toc, le tic, la poudre aux yeux. On alterne des scènes magiques comme le plus beau plan-séquence de l’année (une caméra aérienne suit un personnage en pleine jungle qui arrive dans un temple et pénètre dans une autre dimension) et une succession de moments sans enjeux, longs et ratés. La forme dévore le fond. La caméra de Benoît Debie rôde comme un animal, s’envole, tombe, virevolte mais elle dévore chaque plan et empêche l’identification avec les personnages. Comme disait Kubrick : « Il ne faut pas faire le malin avec la caméra. »

Malheureusement, on ne voit plus que la technique, la sueur du caméraman, et bien sûr, on reste extérieur à ce couple qui sombre, étranger à leur douleur. Il ne reste que cette image arty, des séquences hystériques et fatigantes où l’on se roule dans la boue, où l’on fuit sous la pluie comme dans un Zulawski vintage, des enfants peinturlurés, un esthétisme tribal trop beau pour être honnête. Et Emmanuelle Béart, anéantie par la douleur, a beau donner une des performance de sa vie, j’ai été, étrangement, peu concerné.

A l’arrivée, on a un beau livre d’images, doublé d’un suicide commercial, un réalisateur qui croit au cinéma (il y a plus de cinéma dans un seul plan de « Vinyan » que dans tout le film d’Agnès Jaoui), mais qui a oublié qu’il y a de vrais personnages et solides bases narratives au cœur de « Shining » ou d’« Apocalypse now ». Du Weltz est donc un metteur en scène, un vrai, et sacrément excitant, mais s’il donne à voir les viscères d’un des personnages principaux dans un final digne d’un film de zombies de George A. Romero, son film manque encore sensiblement de chair. Et d’âme.

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« Vinyan » de Fabrice du Welz avec Emmanuelle Béart, Rufus Sewell, Julie Dreyfus, Petch Osathanugrah. En salles le 1er octobre

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4 MESSAGES

Forum

  • le retour des Amis !
    le mardi 30 septembre 2008 à 09:15, spino-for-ever a dit :

    salut m’sieur Godin

    content de vous voir de retour, en pleine forme ! Ceci dit sans la moindre cruauté, ça fait sincèrement plaisir de vous lire aimant des films.

    juste 2 (toutes) petites remarques :

    1/ un jour, vous nous ferez un joli papier pour détailler ce que ça veut dire au juste "il y a plus de cinéma dans un seul plan de V. que dans tout NMPPDLP". Si, si, je vous jure, je brule de comprendre - moi qui crois bêtement qu’on peut aimer tous les styles de cinéma.

    2/ juste une sélection, au débotté, des immondes nanards qui, j’imagine, ont alimenté votre juste courroux à l’égard de ce pauvre Laurent L.

    Les Invisibles (2005), de Thierry Jousse

    Lemming (2005), de Dominik Moll

    Violence des échanges en milieu tempéré (2004), de Jean-Marc Moutout

    Qui a tué Bambi ? (2003), de Gilles Marchand

    Dans ma peau (2002), de Marina De Van

    Le Pornographe (2001), de Bertrand Bonello

    Harry, un ami qui vous veut du bien (2000), de Dominik Moll

    Haut les coeurs ! (1999), de Solveig Anspach

    La Nouvelle Eve (1999), de Catherine Corsini

    J’ai horreur de l’amour (1997), de Laurence Ferreira Barbosa

    que des étrons, somptueux, fumants, la lie du cinéma français, signés des plus émérites héritiers de Max Pécas

    cordialement

    S.

    • For ever ?
      le vendredi 3 octobre 2008 à 09:58, Marc Godin a dit :

      Cher Spino-for-ever,

      Mais je vous assure, j’aime à penser que j’apprécie tous les styles de cinéma. J’aime Carlos Reygadas et Christopher Nolan, Nuri Bigle Ceylan et James Cameron, Paul Greengrass et Kim Ki-duk, Howard Hawks et Wong Kar-waï, Andrei Tarkovski et Steven Spielberg, Robert Bresson et Riddley Scott, David Lean et David Lynch, Fritz Lang et Sanley Kubrick, Michael Haneke et Michael Mann, Luis Buñuel et Takeski Kitano, Sam Peckinpah et Elem Klimov, Abbas Kiarostami et Paul Thomas Anderson, Clint Eastwood et David Cronenberg…

      Et pour ce déficit de cinéma dans le Cantet, le Jaoui et la plupart des films français, ce que je peux vous dire, c’est que ces réalisateurs se contentent de faire du théâtre filmé. Ils sont financés par la télé, ils tournent pour la télé, donc ils filment télé : on met les acteurs au milieu du cadre et on enregistre. Pas une idée de cinéma là-dedans ! Par rapport à la maîtrise de la grammaire cinématographique, Agnès Jaoui a d’ailleurs déclaré récemment à Télérama : « Je reste complexée face à des histoires de focale ou de découpage - comme s’il s’agissait de problèmes de maths. Les gens qui travaillent avec moi disent que je progresse, peut-être par gentillesse. Je sais qu’en tant que spectatrice je n’aime pas sentir la caméra en voyant un film : il y a des films très virtuoses qui m’ennuient, d’autres où le découpage systématique champ-contrechamp ôte toute sa liberté au spectateur. Et puis il y a certains metteurs en scène qui savent faire sentir la caméra, mais d’une façon discrète et sensuelle. Je peux citer aussi bien Antonioni que Tarantino, ou même Luc Besson : le contenu de ses films ne me plaît pas toujours, mais il a ce talent-là.
 Et ça, moi, je ne sais pas faire… »

      Pour moi, faire du cinéma, c’est faire naître l’émotion avec une idée, un mouvement de caméra, un cadrage, une ellipse, un plan-séquence, un son, une musique, la beauté de la lumière, ou l’association de tous ces éléments… Un moment de grâce ! Je pense au plan d’ouverture de « La Prisonnière du désert », la poursuite de voitures de « French Connection », aux mains de « Pickpocket », l’ellipse de « 2001 », la scène de l’ascenseur de « Sonatine », le début de « Valse avec Bachir »…

      Bon, je voulais également vous remercier car grâce à vous, je suis allé voir « Dernier maquis » et c’est simplement un grand film, le meilleur film français de 2008. Bon, maintenant, vous pouvez le dire, vous qui avancé masqué : qui êtes vous ?

      • For ever !
        le samedi 4 octobre 2008 à 09:28, spino-for-ever a dit :

        cher Marc Godin,

        un peu tardivement, je m’attendais si peu à ce que vous répondiez…

        rapidement (j’espère) :

        je ne doute pas que vous espériez sincèrement apprécier tous les styles de cinéma. Vous ne seriez pas là - mais je suis peut-être un grand naïf. Je remarque juste que votre liste, à première vue très éclectique, ne l’est pas tant que ça : de l’auteur, encore de l’auteur, toujours de l’auteur… avec un A. Et évidemment à 95% je renchéris, que des grands noms, pas un faiseur… Si, un, mais qui a ses détracteurs et ses aficionados chez les cinéphiles, je veux parler du réalisateur de clips sur nappes de synthés signées Vangelis, le gars qui réussit à allier dans sa filmo Blade Runner et 1492 : un mystère insondable qui me ferait douter quant à la non-existence de Dieu…

        je suis également à 95,5% d’accord avec vous sur ce qui "est du cinéma" : "faire naitre l’émotion". Sur les moyens, par contre, je ne serais pas aussi restrictif. Il y a la technique, l’écriture, les intentions - surtout les intentions, peut-être, ou le désir, le plaisir, quelque chose comme ça, ce qui se partage avec le spectateur. Et que chacun fasse avec le maximum d’honnêteté en fonction de ses moyens - et en pleine connaissance de ses faiblesse - me semble digne de la même attention. Connu pour être un des plus beaux ratages de l’histoire du cinéma, je tiens Starcrash pour un petit bijou dans la mesure où la foi du réalisateur, son absence totale de suffisance, son désir de raconter et de bien faire parviennent à arracher à tous coups l’adhésion - amusée, certes, mais réelle. Je ne crois pas que Faraldo ou Seria soient de grands grammairiens du cinéma. N’empêche qu’ils ont produit une œuvre unique, inventé, aimé. On en dirait sans doute autant aujourd’hui, dans un autre genre, de Philippe Faucon. Ou de Dupontel (qu’aimerait bien avoir l’air…). Ou de Lloyd Kaufman (bonne recherche). Et je maintiens que, si Kassovitz est une machine à démonstrations un peu vaine, Richet surprend quand il ne se prend pas pour un auteur, Becker réserve des (petits) moments de grâce dans ses films… juste à cause de cette fichue émotion qui nait au détour d’un plan, au moment où on ne s’y attend pas. En fait, je comprends assez bien ce que dit Mme Jaoui.

        Le boulot de critique là dedans ? je ne sais pas. Essayer de défricher, et prendre des coups, en toute subjectivité.

        Ravi que Dernier Maquis vous ait plu, parce que ça va être diablement difficile à faire marcher - hors la capitale et quelques grandes villes de province. Je pense que Entre les murs et Dernier maquis ont beaucoup en commun. À commencer par le dispositif, l’enfermement, l’écoute, l’observation, l’absence de jugement, le désir d’apaisement, la confrontation, l’absence de règlement d’une situation de crise… Rabah Ameur Zaimeche a pour lui une puissance esthétique plus immédiatement perceptible, un décor incroyable a la fois figé et en transformation perpétuelle… Mais si on essaye de ne pas résumer le film de Cantet à un débat de société (ce qui a été aussi la cas pour Dernier maquis à Cannes) interne à l’Éduc’Nat’, on pourrait en dire à peu près la même chose (il y a paraît-il un dvd passionnant qui circule, rencontre entre Rabah Ameur Zaimeche et… François Bégaudeau).

        amicalement

        mon nom est Personne

        S.

        • post scriptum
          le lundi 6 octobre 2008 à 09:12, spino-for-ever a dit :

          en guettant votre réponse, je m’apperçois que j’ai oublié 2 précisions et demie :

          1/ je ne connais pas Elem Klimov et ça m’agace…

          2/ "Ils sont financés par la télé, ils tournent pour la télé, donc ils filment télé" c’est le cas de 99,99% de la prod française (mondiale ?) - mais ce n’est pas systématiquement une marque d’infamie… et je préfère qu’on "filme télé" en toute humilité plutôt que de subir la prétention insensée de… ben de ceux qui ont honte, justement, de cette image (au hasard : le navrant Kasso, l’affligeant De Caunes)

          0,5/ ce jeu de réponses est bien sympathique, mais il me force à tempérer mes agressions pour en revenir à ce constat initial : bien content malgré tout que vous teniez la plume ciné à Bakchich.

          amicalement

          S.

          (le vengeur masqué - vous avez accès, je crois, à mon mail)

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